À Vézelay, les vieux murs épais de la maison m’écoutent sans que je parle, et j’entends leur parole de silence. Quand j’arrive, après un long séjour ailleurs, ces rugueux se font tendres, ils dissipent mon inquiétude. Je pourrais dire qu’ils ont plus d’une fois guéri mon chagrin. Si je suis accompagné, j’ai l’impression qu’ils me boudent. Nous ne sommes plus seuls. La solitude, dont ils sont, depuis des siècles, les serviteurs leur a ordonné d’agir ainsi. Je sens plus tard, à des signes connus de moi, que leur humeur change, et ces pierres énormes, réconciliées, me suivent quand je me déplace dans la maison, montent l’escalier avec moi, m’entourent dans mon bureau, encadrent le paysage de forêts et de collines dans la fenêtre … Alors le vide m’emplit comme un alcool. J’ai devant moi l’espace comme un gabier, dans sa hune, à la mer… tels sont les dons de la solitude !
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À Vézelay, j’ai placé mon bureau de telle façon que je ne puisse voir, lorsque j’y travaille, qu’une mince ligne d’horizon et l’immensité du ciel. Le paysage du haut de la colline de Vézelay est l’un des plus beaux et des plus vastes de France. Mais je vis bien plus avec et dans son ciel, avec cet espace de silence que corbeaux et corneilles coupent de leurs ailes comme avec des ciseaux. Tourné vers l’ouest, sans quitter ma table, je suis le témoin des couchers de soleil, dont la lumière d’abord se retire de colline en colline, ainsi qu’elle fait sur l’eau des ports de Lorrain, puis se redéploie dans le ciel, où sa traîne longtemps d’or, se transforme en lits de braise comme ceux que les nomades abandonnent derrière eux, enfin viennent les roses, les mauves, les bleus sombres, et la solitude, héroïne du spectacle, passe dans la nuit.