Aurais-je jamais eu l’idée de faire halte à Melle sur la route des vacances ? C’est peu probable. C’est pourtant là, en Poitou, dans cet ancien fief de Ségolène Royal, que j’ai posé ma valise ce premier après-midi de vacances. Autant être franc, ce n’est pas totalement le fruit du hasard si je suis arrivé là.
Cécile, que j’ai connue il y maintenant plus de vingt ans, alors que nous travaillions dans la même agence parisienne, à la création et à la maintenance de sites internet, y est née, y a grandi, et est retournée s’y installer aux premières heures de l’épidémie de Covid. Elle avait alors dans ses cartons les plans d’une belle maison d’hôtes. La maison, de ville, sera celle d’un médecin, de campagne : cinq chambres à l’étage, une cuisine, un salon et les appartements de la propriétaire au rez-de-chaussée. À l’arrière un joli jardin planté de dahlias, d’oliviers et agapanthes. Les volumes sont beaux, la maison solide mais nécessite quelques travaux avant de pouvoir accueillir le touriste. Ah les travaux ! À Melle comme à Paris, en Corse, à Roubaix ou à Aix la réfection d’une maison est un art aléatoire. Le chantier avance comme il peut, cahin-caha, au gré de la venue ou de l’absence des ouvriers. En ce début juillet le sol de la cuisine est éventré sur les canalisations, les gravats envahissent le salon, les murs sont pelés, les lavabos attendent sagement dans leur carton… seul le jardin offre la quiétude de ses homologues anglais. Cet été, la demeure du docteur sera vide de tout estivant.
Qu’à cela ne tienne, les futurs concurrents directs de Cécile sauront nous accueillir, et celle-ci, dégagée de toute contrainte, nous consacrera sa soirée. De la rue Tireboudin – qui précède l’impasse de la Motte – à l’église Saint-Hilaire, Cécile nous guide dans les ruelles de son enfance. Melle est charmante, calme, déserte dans la touffeur de cette fin d’après-midi. J’y retrouve peu ou prou l’ambiance de mes étés d’enfance à Iguerande où mes grands-parents maternels possédaient une maison de famille à quelques encablures de la Loire. Le fleuve y était large, profond, violent ; nulle berge en pente douce ne permettait d’accéder à l’eau en toute sérénité. En compagnie des enfants du village, et parfois d’une ou deux cousines, je m’essayais à la pêche aux écrevisses (sans monsieur le curé). Aux heures chaudes, tante Jeanne (Ah les jolies vacances !), dans sa cuisine, m’inculquait patiemment l’art du canevas. De l’atelier de son fils, Robert, boiteux et menuisier, émanait l’odeur du bois, chauffé, façonné par les scies, les rabots et les ciseaux, révélant des Sahara de copeaux et de sciure. Lorsque l’orage éclatait enfin, j’allais avec mon grand-père chasser l’escargot de Bourgogne au long de l’ancienne voie de chemin de fer. Ils finissaient en fricassée après avoir dégorgé quelque temps dans un baquet de fer blanc. Le soir, à la veillée, pendant que Guy Lux et Simone Garnier commentaient, en noir et blanc, les épreuves d’Intervilles, dans le minuscule téléviseur portatif Thomson, j’inventais des alphabets typographiques sur les pages blanches de mes cahiers de vacances. Ces souvenirs s’enveloppent de la même torpeur qu’ici, où pourtant aucun fleuve ne coule, où aucun de mes aïeux n’a jamais vécu. Où l’on cuisine plus volontiers la mogette que le gastéropode.
Je reviendrai très probablement à Melle ; pour voir ce qu’est devenue la maison de Cécile mais également pour avoir le plaisir d’entrer dans les trois églises romanes que je n’ai pu voir que de l’extérieur.
Sur le flanc sud de l’une d’elles, Saint-Hilaire, classée au Patrimoine Mondial de l’UNESCO, au dessus du portail, un personnage agenouillé s’incline devant un cavalier, sculpté en ronde-bosse. D’aucuns y voient l’allégeance des villageois au Seigneur de Melle, d’autres Constantin victorieux des païens. Et si ce n’était finalement qu’une allégorie de la fraîcheur la nuit terrassant la fournaise du jour ?