Vers quatre heures du matin, je me suis réveillé. Un vent frais me frappait le visage, la voiture, lancée au grand galop, penchait en avant, nous descendions la fameuse côte de Saverne.
C’est là une des belles impressions de ma vie. La pluie avait cessé, les brumes se dispersaient aux quatre vents, le croissant traversait rapidement les nuées et par moments voguait librement dans un trapèze d’azur comme une barque dans un petit lac. Une brise, qui venait du Rhin, faisait frissonner les arbres au bord de la route. De temps en temps ils s’écartaient et me laissaient voir un abîme vague et éblouissant ; au premier plan, une futaie sous laquelle se dérobait la montagne ; en bas, d’immenses plaines avec des méandres d’eau reluisant comme des éclairs ; au fond, une ligne sombre, confuse et épaisse, ― la Forêt–Noire, ― tout un panorama magique entrevu au clair de lune. Ces spectacles inachevés ont peut–être plus de prestige encore que les autres. Ce sont des rêves qu’on touche et qu’on regarde. Je savais que j’avais sous les yeux la France, l’Allemagne et la Suisse, Strasbourg avec sa flèche, la Forêt–Noire avec ses montagnes, le Rhin avec ses détours ; je cherchais tout, je supposais tout, et je ne voyais rien. Je n’ai jamais éprouvé de sensation plus extraordinaire. Mêlez à cela l’heure, la course, les chevaux emportés par la pente, le bruit violent des roues, le frémissement des vitres abaissées, le passage fréquent des ombres des arbres, les souffles qui sortent le matin des montagnes, une sorte de murmure que faisait déjà la plaine, la beauté du ciel, et vous comprendrez ce que je sentais. Le jour, cette vallée émerveille ; la nuit, elle fascine.