20 septembre 2020
La Route du Vin II

C’est finalement là, à Andlau, que notre route du vin débute réellement. Non pas que nous ayons décidé d’écluser toutes les caves jusqu’à Colmar mais plutôt parce que les paysages que nous traversons sont ceux que nous avons en tête : vallonnés, couverts de vignes aux belles-teintes vertes et jaunes, où fleurissent de petits villages aux maisons colorées groupées autour d’un cloché pointu… L’Alsace telle qu’on l’imagine ! Ne manquent que les cigognes…

Cette Alsace que je connais si peu et qui pourtant coule un peu dans mes veines… mon grand-père maternel en était originaire. 

André – quelqu’un l’a-t-il jamais appelé Dédé ? – André Bouvart, né en février 1922 à Mulhouse, gendarme, moustachu, résistant, gaulliste, catholique convaincu… Il était sympa le grand-père ; bel homme bien que petit (il aurait tellement aimé intégrer la Garde Nationale), le cheveu naturellement noir même à quatre-vingts piges, l’oeil vif et le sourire en coin, fier et droit, discret mais pas taiseux. Un homme d’honneur, attaché aux valeurs, devant lequel il fallait filer droit. Mais, même s’il avait sauvé la France, échappé aux « schleux » dans les traboules de Croix-Rousse, et conduit une DS on voyait bien qui portait la culotte à la maison… J’allais chez lui et chez ma grand-mère, Odette, quand j’étais gosse, à Maurepas, dans les Yvelines. Ça sentait les années 60, la petite bourgeoisie française que chantait Sheila, et la pâtée pour chien (ils en avaient six… et trois chats, neuf écureuils, plus tard un gros lapin blanc et même un cheval nain dans leur jardinet de banlieue à la fin de leur vie). Dans leur maisonnette on trouvait des vitrines contenant des souvenirs de voyages, des poupées, des rideaux et des coussins dignes d’un décor d’opérette (ma grand-mère adorait l’opérette), des « cosy » en tête de lit, du mobilier de bois comme dans les chalets de montagne, mais aussi du formica, des piles d’Historia, des produits Avon à profusion (mamie Odette en était ambassadrice)… et peu ou prou la même chose dans l’énorme camping-car qui leur permettait de déplacer leur ménagerie. L’autoradio y crachait du Karen Cherryl et du Sylvie Vartan (nous écoutions Stop ou Encore sur RTL) sur la route qui nous menait à Estartit sur la Costa Brava, sur les plages du débarquement où ils avaient une maison, ou encore à Iguerande dans la Loire fief de la famille de ma grand-mère… En Alsace, jamais. Je découvre aujourd’hui cette région que mon grand-père ne m’à pas présentée mais qu’il m’a peut-être un poil léguée. 

Les villages se suivent et ne se ressemblent pas, comme les grains d’une même grappe de raisin, semblables, issus de la même terre et pourtant tous différents. 

Sur les hauteurs de Dambach-la-Ville, autour de La Chapelle Saint-Sebastien, les vignes nous invitent à la promenade. Nous découvrons les nuances fruitées des cépages, tantôt blanc, tantôt rouge et profitons de la vue sur la petite ville en contrebas. 

À Bergheim, où nous déjeunons de délicieux fleischkieschle (boulettes de viande à l’œuf), les ruelles ensoleillées et désertiques ont la quiétude des villages du sud à l’heure de la sieste. Nous nous amusons à répertorier toutes les couleurs dont s’ornent les façades à colombages. 

 

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À Ribeauvillé, à l’inverse, nous déambulons au milieu d’une foule bigarrée de badauds masqués – l’endroit est très touristique. C’est jour de brocante patrimoniale et tous les libraires d’Alsace semblent avoir posés leurs tréteaux ici. Deci-delà des nids de cigognes vides, accrochés aux toits comme de gigantesques boules de gui séchées.

  • excusez-moi madame de vous poser cette question mais les cigognes sont déjà parties ?
  • Oh oui ! Cette année elles sont parties de bonne heure. Mais elles sont à Hunawhir, au refuge. Vous savez elles ne « migrattent » plus…

Si les cigognes ne « migrattent » plus où va l’Alsace, je vous le demande !

À Hunawihr justement, où Jean-Claude à 15 ans passa un mois de vacances avec ses parents et dont il garde un souvenir ébloui, nous grimpons sur les hauteurs, échappant à l’officiel Route du Vin pour nous perdre (au sens propre du terme) dans les vignes, puis dans les bois jusqu’à Riquewihr.

A Riquewihr ensuite, membre émérite du club prisé des Plus Beaux Villages de France, d’où nous repartons, alourdis d’un magnifique plat à Baekhoeffe pour Jean-Claude et de petites décorations pour mon Sapin de Noël, là encore à l’écart des sentiers battus à la poursuite de Kaysersberg, notre dernière étape.

Sur notre route, le cimetière militaire de Sigolsheim, domine les vignobles dans le soleil couchant. Le paysage s’étale à nos pieds, majestueux. Ces alignements de croix blanches me fascinent, plus visuellement que pour ce qu’ils représentent. Mon grand-père ne m’aura pas transmis son goût pour les haut-faits et les haut-lieux militaires… Mais c’est peut-être un peu grâce à lui que j’aime entrer dans les églises.

Celle de Kaysersberg est toute petite et le Christ en croix qui accueille le pèlerin au dessus de la nef occupe presque toute la largeur de celle-ci.

Notre périple s’achève là, dans la plaine de la Weiss ; nous ne rêvons plus que d’une grande bière bien fraîche mais sommes refoulés à chaque terrasse. Plus tôt dans la journée nous nous étions vus refusé l’accès au Haut-Koenigsbourg, le fameux château médiéval offert à Guillaume II à la fin du XIXe siècle et restauré. Une fois de plus nous nous étions retrouvés gros-Jean comme devant en oubliant de réserver notre visite quelques jours en amont. Nous avions ravalé fièrement notre déception et profité de la vue sur la plaine environnante et le massif bleu des Vosges mais là le problème est tout autre : d’après les tenanciers il n’est plus l’heure de boire mais celle de dîner : il est 18h30… Nous nous cognons à chaque troquet, comme les boules de billard aux bandes de la table, quémandant un siège, une bière ; un agacement d’impuissance gronde en nous ! Enfin, au moment où nous allions baisser les bras : une table, sous un arbre, un sourire, sous le masque et la réponse tant attendue : « oui bien sur ! Asseyez vous là ; qu’est-ce que je peux vous servir ? ». Ah que la vie est belle ! Nous sirotons, l’air béa, des colombages, des couleurs, du soleil et des vignes plein la tête… Un vol de cigognes par dessus les toits pentus  aurait parfait le tableau mais j’oublais : elles ne « migrattent » plus !

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