Si la ville d’Ille-sur-Têt est connue ça n’est sans doute pas dû à Prosper Mérimée et à sa nouvelle La Vénus d’Ille mais plus vraisemblablement grâce à ses orgues. Celles-ci ne produisent aucun son. Ne sont pas composées de tuyaux d’étain mais de roches sableuses et d’argile. Vous ne les trouverez pas dans une église, ni même une cathédrale mais au cœur du Riberal, la partie de la vallée de la Têt qui borde la ville. Mais de quoi s’agit-il ? Je sens que cela vous intrigue…
Reprenons d’abord là où nous nous étions arrêtés : Castelnou.
La route qui serpente au cœur du massif des Aspres, nous menant de Castelnou à Ille est absolument splendide bien que difficile et offre de magnifiques panoramas tantôt sur les Corbières, tantôt sur le Canigou.
Mais ce qui nous attend est encore plus étonnant… Je ne suis jamais allé en Cappadoce pourtant ses cheminées de fées en photo m’ont toujours fait rêver. Par contre j’ai eu la chance il y cinq ans de visiter avec mes parents Bryce Canyon (Utah) et c’est l’un des paysages les plus fantastiques que j’ai pu voir : des milliers de cheminées de couleur ocre, rouge ou orange suivant l’endroit, qui s’étendent sur des kilomètres… Les orgues d’Ille sont de la même argile ! Même si elles sont plutôt blanches ou d’un gris tirant sur le jaune. Aussi belles que fragiles, aussi éphémères qu’intemporelles, aussi grandioses que magiques ! Ces gigantesques « demoiselles coiffées » et ces tuyaux d’orgues semblent posés là pour l’éternité et pourtant cet amphithéâtre de sédiments est en permanence remanié. À chaque pluie de grandes quantités de sable sont emportées modifiant sans cesse ce décor minéral. Il y a cinq millions d’années ce site était une savane aujourd’hui c’est un cirque sculpté par l’érosion.
Nous marchons le nez en l’air, auscultant du regard les coiffes des demoiselles à dix ou douze mètres de hauteur, jaugeant leur solidité afin que la colonne ne s’effondre pas au prochain orage. J’avais déjà été subjugué, quelques jours plus tôt, à Roussillon, par le décor façonné par l’homme dans les carrières d’ocre, ici la nature m’en offre un tout aussi époustouflant.
Une cavité offre un point de vue fantastique sur le Canigou ennuagé et un autre site comparable à celui où nous trouvons. Un jeune homme a décidé d’occuper la place et ne semble pas vouloir en partir. Ça bougonne à l’arrière sans que personne n’ose lui taper sur l’épaule pour lui dire : « Eh mon pote y a 20 personnes qui attendent derrière toi ! ». Lorsqu’il laisse la place, les langues se délient : « Ah ! mais c’est inadmissible ce genre de comportement ! Imaginez, c’est un peu comme si moi je mangeais au comptoir chez McDo empêchant tout le monde de commander ! Incroyable ! »… Que cette scène est ridicule ! Moi, la seule chose qui me tracasse c’est d’emporter trop de sable avec mes godasses fragilisant par là l’équilibre précaire de ce paysage merveilleux… Vous imaginez un peu le tableau : LE grain de sable qui s’accroche à ma semelle et là, la grosse colonne qui commence à craqueler, se fissurer, et vlan tout qui s’effondre ! Les touristes qui crient, qui se sauvent en courant, et moi au milieu des décombres comme un Gaston Lagaffe qui regarde s’écrouler le site classé depuis 1981 Monument Naturel et patrimoine d’intérêt général… Ne vous inquiétez pas rien de tout cela n’est arrivé, j’ai peut-être emporté un peu de sable sous mes baskets en quittant les lieux mais aux dernières nouvelles les colonnes sont toujours debout et l’amphithéâtre des orgues aussi.