25 juillet 2021
Cythère

C’est la plus méridionale des îles Ioniennes, à moins de quinze kilomètres des côtes du Péloponnèse, que nous avons choisie pour la partie balnéaire de notre séjour : Cythère. Elle regorge de plages, de criques, tout à fait ce dont nous avons besoin. Tantôt maquis, tantôt terre aride d’où seuls s’échappent des branchages noirs comme brûlés (probablement un récent incendie), tantôt pinède ; ici montagne aux roches grises, là plaine quasi désertique ; parfois falaises où s’accroche un ancien monastère, plus loin colline s’achevant dans des eaux turquoises ; plage de sable ou de galets, criques cernées de rochers ocres ou lie-de-vin… L’île sait offrir mille visages. 

À Chora (χώρα), la capitale (dans les îles grecques, la ville principale porte le nom de l’île et pour ne pas la confondre avec celle-ci on la nomme Chora), les ruelles au blanc tranchant, coulées de lait sur l’azur, fournaises proprettes et paisibles, évoquent celles des Cyclades ; à l’abri derrière une citadelle vénitienne leur masquant l’Égée. 

À Potamos (ποταμός) (qui soit dit en passant signifie fleuve en grec… une ville qui s’appelle « Fleuve »… qu’il soit également dit en repassant je n’ai vu aucun fleuve passer à proximité de la ville dite « Fleuve »… comment l’aurait-on appelé ? Ville ?), à Potamos donc, centre démocratique et économique au cœur de l’île, d’anciens palais, stigmates de la domination de la Sérénissime, encadrent la place principale où, dans de grands platanes offrant de l’ombre aux chalands venus se rafraîchir d’un ouzo, des milliers de cigales chantent en chœur, dissolvant instantanément tout désir de parole. 

À Agia Pelagia (Αγία Πελαγία), les terrasses des tavernes et des bars s’étendent entre la rue et la plage ; les pieds dans le sable, sous les tamaris, le froissement des vagues, au milieu des chats errants et la vue sur le Péloponnèse bleu. De l’autre côté de la voie goudronnée, les comptoirs et les cuisines. Au delà, la terre grimpe, abrupte, presque verticale. Nous logeons sur ces hauteurs, une vue imprenable sur la baie, aussi belle de jour que de nuit. Un paysage immuable, intemporel si l’on n’apercevait par intermittence les lumières des phares des voitures croisant notre petite station balnéaire. 

Nous passons là quatre jours de farniente, sous des parasols de paille (impossible de tenir en plein soleil), brassés par les rouleaux ou barbotant dans des eaux limpides, transparentes comme du verre. Une « mer de yaourt » comme l’appelle Stathis, notre hôte – physique herculéen et regard malicieux. S’il y a quelquefois des vagues c’est que l’île est sujette au vents, les mêmes zéphyrs qui, selon la légende, menèrent Aphrodite jusqu’à ces rives. J’ai toujours un peu de mal à m’intéresser à l’Histoire, la grande, la vraie. Je lui préfère les contes, les mythes. En Grèce chaque île, chaque mont a le sien où se mêle l’antique et le mythologique. Ici l’on vit la naissance d’Aphrodite, issue de la semence d’Ouranos mêlée aux eaux de mer. 

Ce n’est pas Aphrodite que nous croisons sur la minuscule plage de Fournoi mais Anne, et sa tribu. Cette Française entre deux âges vient là depuis de nombreuses années – apprendrons-nous plus tard. À l’instar de son homonyme de Bonjour Tristesse, elle incarne une forme d’élégance à la française, un peu surannée, et respire l’intelligence comme d’autres transpirent la bêtise. Entre amis, en famille – ils sont une bonne quinzaine à occuper les transats – dont les deux tiers sont des adolescents, calmes et bien élevés. Je les imagine habitant de grands appartements dans le 16e arrondissement de Paris, fréquentant les tribunes de Roland Garros les jours où ils ne sont pas au Lycée Janson de Sailly. L’argent ne se porte pas en étendard, il se vit comme le soleil ou la mer. Le snobisme n’est pas une façon de vivre… Nous apprendrons par quelques indiscrétions qu’Anne vient là à toutes les vacances scolaires et possède une maison dans la garrigue. Peut-être que ses amis également, à moins que la sienne ne soit suffisamment grande pour accueillir tout ce joli monde. La même bouche indiscrète nous révélera que Cythère est différente des autres îles grecques, que si elle vous charme vous ne pouvez faire autrement que d’y revenir, encore, et encore… « À l’année prochaine » conclut-elle un sourire énigmatique aux lèvres et un clin d’œil à portée de cils.
Sur le chemin du retour nous nous surprenons à imaginer quel palais, bicoque ou villa, la nonchalance d’Anne a investi… et bientôt celle des maisons traditionnelles où nous aimerions nous-mêmes nous installer.  

La bavarde nous aura ensorcelés. À moins que ce soient les trois fées de notre séjour qui auront tissé des fils invisibles autour de nous pour nous amarrer à leurs terres.
La première, Peggy, la vingtaine, rousse, une coupe de petit mec, en short de survêtement orange, nous servira chaque soir, au sortir de la plage, une Mythos bien fraîche dans des chopes extraites du congélateur qui, sous l’effet du verre glacé, produisent un « poc » mat lorsque nous les choquons pour trinquer. Sa mère l’a affublée du beau nom d’une obscure déesse de la terre mais elle lui préfère ce surnom américain.
Mary elle aussi préfère angliciser son Maria de baptême, serveuse au grand cœur du restaurant mitoyen du bar de Peggy. Si l’une est rousse aux cheveux courts, la seconde est brune à la chevelure ondulante sous la caresse du Meltem. Elles ont en commun, outre leur métier de serveuse, un sourire qui cannibalise leur visage, déborde des masques qu’elles se doivent de porter pour faire le service. Nous les retrouvons chaque soir avec une joie non dissimulée, un rendez-vous avec la simplicité et le plaisir d’être là.

La troisième, Stella, est notre astre du réveil. Mère du colossal Stathis, elle donne son nom à l’ensemble locatif où nous séjournons : Stella’s Houses. Son fils gère l’intendance, les arrivées, les départs, le ménage, parle à tous et à chacun, n’hésite pas à faire découvrir les beautés de son île, distillant ses conseils, carte annotée à l’appui, partage son ouzo et ses liqueurs, s’inquiète du bien-être de ses hôtes. Stella quant à elle n’apparaît qu’au petit-déjeuner, couvrant les tables de mets qu’elle a elle-même préparés avec les fruits et les légumes de son jardin. Au moment du départ j’emporterai avec moi un peu de sa bonté par le biais d’un pot de sa merveilleuse confiture d’abricot (βερύκοκκο).

L’Oracle a probablement raison, Cythère ne ressemble à aucune autre, et ce n’est pas seulement dû à sa physionomie mais sûrement aussi à l’accueil de ceux qui y vivent, loin des fastes de Santorin et du chant des sirènes de Mykonos, protégée du tourisme de masse… Souhaitons qu’elle le reste encore longtemps.
Et qui sait ? Peut-être à l’année prochaine !…

 

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