Jean-Claude rêvait de revoir cette ville qu’il a connue peu de temps avant sa libération de l’emprise communiste en 1989, alors pourquoi ne pas marcher une fois de plus dans mes propres pas, dans ces rues que j’avais arpentées le temps d’un week-end en mars 2007 aux côtés de Jean-Jacques ? Qu’y retrouverai-je ? Qu’y découvrirai-je ?…
Décollage au petites heures, les yeux encore un peu scellés de sommeil mais quel plaisir de retrouver à l’arrivée le métro, terriblement soviétique et ses décors futuristes, les panonceaux aux termes imprononçables, qui ne m’évoquent rien si ce n’est que je suis à Prague pour trois jours, douze ans après la première fois.
Ce séjour commence comme le précédent, le soleil en plus : direction le Château, siège des dirigeants du pays par tradition depuis le XIe siècle, sur la colline de Hradčany choisie pour sa position stratégique en surplomb de la Vltava . Je me repère rapidement à la sortie du métro pour trouver « la montée » identique à mes souvenirs, quelques grappes de touristes – asiatiques pour la plupart – en plus. Un jeune homme aux cheveux longs y joue d’un étrange instrument : une nyckelharpa. Nous nous arrêtons pour l’écouter frotter son archet sur cette « vielle à clavier » médiévale et suédoise. Prague, musicale et anachronique nous accueille.
Achat de billets pour accéder aux différents édifices du quartier dans le tout neuf et très moderne « tourist information center » où les caissiers, cheveux gras et mine déconfite semblent encore sous l’ère communiste, puis visite de la Cathédrale Saint-Guy. Même si elle demeure le symbole du soutien de l’église à la ville depuis le XIVe siècle, notamment lors de la révolution de Velours de novembre 1989, elle n’en demeure pas moins foncièrement gothique, sombre et grise. Les vitraux colorés des années 1930, dont celui dessiné par Mucha, le tombeau baroque en argent massif de Saint-Jean Népomucène, les boiseries et les statues peintes apportent un peu de chaleur aux murs sinistres. Il y beaucoup de monde à l’entrée mais finalement peu ont accepté de payer pour s’aventurer à l’intérieur. Devant la Chapelle Saint-Venceslas un guide tchèque explique à trois demoiselles dans un anglais impeccable que la pièce devant laquelle ils se tiennent est l’endroit le plus important de la cathédrale… et toutes les trois de s’écrier en chœur, les yeux pleins d’étoiles : Oh wow ! Comme si elles avaient attendu toute leur vie de se trouver face à cette porte qu’elles ne pourront de toutes façons pas franchir…
Nous sommes debout depuis quatre heures du matin et l’appel du ventre se fait sentir. Retrouvailles avec un plat que j’affectionne particulièrement et que je prends plaisir à déguster chaque fois que je passe les frontières à l’est : le schnitzel ! Une escalope panée si vous préférez. Cette fois elle est de porc et accompagnée d’une macédoine de légumes froide ! L’association toute surprenante qu’elle soit est assez réussie.
Passage obligé par la toute petite église Saint-Georges, très sobre, sa façade rouge, son unique nef romane nue et ses restes de fresques dans le chœur. Là encore peu de visiteurs. Dans la salle Ladislas du vieux Palais Royal, aux incroyables voûtes nervurées, nous sommes encore moins nombreux. Où sont donc passés tous ces fameux touristes qui rendent soi-disant Prague infréquentable ? Peut-être sont-ils entassés sur la place de la Vieille Ville et sur le Pont Charles… ce sont probablement les mêmes, qui, à Venise, se pressent sur la place St-Marc et sur le Rialto (encore une place et un pont) et laissent le reste de la ville déserte à ceux qui souhaitent en découvrir les autres merveilles. À propos de merveille, nous entrons un peu par hasard à Loreta. Ne ratez pas ce sanctuaire si jamais vous montez sur la colline ! Un cloître aux plafonds peints, une minuscule église baroque en diable et la Santa Casa, reproduction de la maison de la vierge à Nazareth (sic). À l’étage une riche collection de mitres, calices, crucifix et autres objets de culte plus précieux les uns que les autres, dont le Soleil de Prague, un ostensoir couvert de quelque 6500 diamants ! Nous croisons deux septuagénaires allemands complètement subjugués par l’objet. À voir leurs yeux brillants on pourrait les soupçonner de fomenter un casse ; je leur souhaite bien du courage vu l’épaisseur des portes en acier qui protègent le Trésor. Nous les laissons à leur étude et repartons chercher le monastère Strahovsky Klaster où se cachent deux bibliothèques qui paraissent incroyables.
En suivant les panneaux nous sommes trimbalés ici et là, au bout de la colline, sans voir l’ombre d’une porte de monastère. Alors que nous avons presque baissé les bras nous trouvons l’accès par un passage étroit. L’entrée payante ne permet d’admirer les deux bibliothèques que depuis le pas de leur porte. Nous pouvons par contre contempler à loisir des dizaines de coquillages, poissons séchés, papillons épinglés et autres curiosités poussiéreuses dans d’antiques vitrines en bois. Plus loin d’autres vitrines présentent un peu plus d’intérêt en proposant au regard de beaux manuscrits enluminés réalisés par les moines prémontrés… C’est toujours ça.
Le soleil décline déjà; nous redescendons à travers les rues de Mala Strana aux innombrables façades baroques jusqu’au fameux Karluv Most (Pont Charles). De nuit, les énormes statues qui le jalonnent, faiblement éclairées, ses hautes tours et les ombres des nombreux touristes (qui font leur retour), le font paraître encore plus mystérieux. Notre fatigue, nos pieds douloureux et nos corps fourbus ne font eux état d’aucun mystère… Nous rentrons donc à l’hôtel par le premier métro venu. Pause.
Nous dînons non loin de l’hôtel (rien n’est jamais vraiment loin à Prague) dans une kavarna typique, d’un délicieux goulasch non moins typique, accompagné de boules de pain au lard et de… tranches de pain de mie. Les légumes ont la vie dure ici… Bière, pain, patates, saucisses et viande en sauce semblent être les piliers de la gastronomie tchèque. Pour être franc ça n’est pas tout à fait pour me déplaire !