21 août 2015
Zoo de Vincennes

J’ai cinq ans. Nous habitons, avec mes parents, sur les Maréchaux, boulevard Poniatowski, à quelques mètres de la Porte Dorée. À Ponia comme on dit dans la famille. De la fenêtre du salon, sur le bord de laquelle maman doit se battre pour empêcher les pigeons de faire leur nid, on voit le bois de Vincennes et, au printemps, les manèges de la Foire du Trône. On entend aussi les cris qui proviennent des attractions les plus remuantes. On ne le voit pas de la fenêtre mais le Palais de la Porte Dorée est tout près. J’y vais régulièrement. Pas tant pour les sculptures et les masques africains qui me font peur que pour l’aquarium, la tortue géante et les crocodiles dans la fosse centrale. J’aime les animaux « sauvages ». En fait j’aime tous les animaux. Ils me passionnent. 

C’est ma grand-mère paternelle, mamie Cécile, qui m’emmène le plus souvent au Musée des Colonies (comme elle dit , même s’il porte en fait le nom de Musée des Arts Africains et Océaniens) voir les reptiles géants. Elle vit, elle, rue de la Bastille, dans un deux-pièces sans salle de bain avec toilettes sur le palier. Mon père a grandi dans cet appartement, en plein cœur de Paris, sans aucune commodité. De là, nous allons aussi, souvent, à la Ménagerie du Jardin des Plantes. Ça n’est pas loin à pied mais mamie marche mal, avec une canne, et nous prenons le bus pour nous y rendre. Là je vois d’autres animaux : des fauves, des reptiles, des singes. Un jour que nous étions mamie et moi devant la cellule d’un gorille, le primate qui semblait somnoler, prostré au fond de son réduit, s’est soudain levé et a couru vers nous, projetant ses deux énormes poings sur la vitre qui nous séparait de lui. Tout a vibré. Rien n’est tombé. Et nous avons couru. Plus de quarante ans après je revois encore la scène et j’entends encore nos rires essoufflés devant l’enclos des gazelles. 

Mamie m’emmène aussi au zoo de Vincennes. De Ponia ça n’est pas bien loin non plus et là encore il y a un bus qui nous emmène. J’adore le zoo. Aujourd’hui les zoos n’ont plus la cote… Les défenseurs de la cause animale aimeraient les faire fermer. Je n’ai pas trop d’avis sur la question. Ou plutôt j’ai du mal à trancher. Il est vrai que les pauvres bêtes seraient probablement mieux dans leur milieu naturel (même si certaines n’y survivraient pas longtemps ; les zoos ont aussi un rôle de conservation). Mais j’ai tellement aimé aller au zoo étant gosse. 

Cet été-là nous déménageons à Vincennes. Tout au bout de Vincennes. À la limite de Fontenay-sous-Bois ; au carrefour des Rigollots. Nous n’habitons plus Ponia mais les Rigollots. Ça fait marrer tout le monde vu que mon père gagne sa vie en écrivant des chansons drôles. Il y a toujours un bus pour aller au zoo, le 56. J’adore les gibbons qui sautent de branche en branche, comme le fait Tarzan avec les lianes. Il y en a des blancs et des noirs. Ils sont grands et dégingandés. Leurs bras et leurs pattes arrières sont très longs. Ils sont agiles et leurs mouvements fluides. J’aime aussi les bonobos. J’ai un livre qui raconte l’histoire des bonobos à lunettes. J’ai découvert il y a peu que ce livre pour enfants est totalement et génialement féministe : les femelles bonobos y militent pour avoir les mêmes droits que les mâles sur les lunettes qu’ils ont trouvées dans une valise abandonnée dans la jungle ! J’adore aussi les promenades à dos de chameau, même si mamie a peur que je tombe et me casse quelque chose. 

Je dévore les encyclopédies animalières. Je les lis plus volontiers encore que le Journal de Mickey auquel je suis abonné – Pif Gadget me déçoit plus qu’il ne m’enchante à cause des fameux « gadgets » qui fonctionnent une fois sur cinq. Je veux tout savoir ! De la cochenille à la limule, du lagopède des Andes au serpent corail. Quelques années plus tard je serai capable de faire de véritables visites-conférences du zoo avec les connaissances que j’ai acquises dans les livres (et dont j’ai oublié aujourd’hui la majeure partie ). 

Dix ans plus tard nous avons quitté Vincennes pour la Grande Rue de Villemomble. J’ai arrêté de fréquenter le zoo. La chanson, le cinéma et le théâtre ont bientôt remplacé les animaux dans mon esprit. Plus de 30 Millions d’Amis dans ma boîte aux lettres mais Studio. Mamie ne joue plus les chaperons et les bus qui passent devant la maison ne mènent qu’à Noisy-le-Grand…

Aujourd’hui, j’aime toujours les animaux mais ils ne me fascinent plus autant. J’aime les découvrir dans leur milieu, me sentir étranger sur leurs terres, intrus dans leur quotidien. Une colonie de fous de Bassan sur l’Île Bonaventure (Québec), un phacochère traversant une route en Namibie ou des renardeaux jouant sur l’asphalte en pleine nuit dans les Pyrénées-Orientales, m’émeuvent tout autant. Je me sens privilégié d’assister à un tel spectacle. Comme si ces bêtes m’avaient signé un laisser-passer, un passe-droit, pour me permettre de les observer, furtivement, dans leur vie… 

En 2008 le zoo de Vincennes, ouvert depuis 1932, ferme ses portes aux visiteurs. Pour rénovations. Les travaux débutent en 2011 et dureront deux ans et demi. Les animaux ne sont plus parqués dans des enclos regroupant les mêmes espèces mais dans des « biozones ». Les premiers visiteurs crient au scandale. On ne voit rien. Il n’y pas assez d’animaux. Ces derniers se cachent des promeneurs. Le zoo paraît vide. 

À la fin de l’été 2015 Jean-Claude me propose d’aller voir ce nouveau zoo. Bien évidemment ! Je veux voir ce qu’ils ont fait de mes cinq ans. Y a-t-il encore des promenades à dos de dromadaire ? Y vend-on toujours des sachets de cacahuètes dans leur coque ?

Bien sûr au début je suis un peu déçu de ne pas retrouver les îlots de fausse roche arborés et cernés d’eau où s’ébattaient les gibbons et autres chimpanzés, ni surtout les rambardes en béton moulé aux motifs d’écorce que l’on trouvait autour de chaque enclos. Mais les nouveaux aménagements m’enthousiasment rapidement. La végétation y tient une part importante offrant de belles vues au regard et des abris naturels pour la faune. La volière est particulièrement impressionnante : une gigantesque serre où les oiseaux s’ébattent librement au milieu d’une végétation luxuriante. Sur l’une des poutres métalliques qui soutiennent la structure nous voyons passer un paresseux. J’ai presque l’impression d’être chez eux.  

À la buvette nous prenons une bière pour nous rafraîchir. Pourquoi là ? pourquoi maintenant ? Alors que ce lieu m’évoque plus mon enfance et mes pérégrinations animalières aux côtés de ma grand-mère boiteuse que les quatorze ans que je viens de passer aux côtés de celui que je considère alors comme l’homme de ma vie, Jean-Claude me pose des questions sur le cancer de Jean-Jacques. Je déballe tout ! De l’entrée à Saint-Antoine par la porte des urgences en février 2014 à la dernière balade en fauteuil roulant dans la cour de l’hôpital Tenon le 1er novembre de la même année. Je vomis toute l’histoire. Le visage baigné de larmes, la voix entrecoupée de hoquets. 

J’ai mis plus de quatre ans à écrire un texte sur cet après-midi d’août. Non pas parce que les souvenirs de ma grand-mère y étaient trop brûlants mais parce que cette heure passée devant une blonde fraîche m’avait marqué au fer rouge. En racontant toute l’histoire j’avais l’impression d’effacer les événements, les dates, les détails de ces huit mois de maladie. J’ai laissé ce jour-là dans un coin du bois de Vincennes plusieurs morceaux de moi.

Le jour où je retournerai au zoo j’aurai le cœur plus léger. Zoo de Vincennes


Parc Zoologique de Paris
Avenue Daumesnil, 75012 Paris
Tél. 0 811 22 41 22
Entrée 20€ – horaires d’ouverture suivant les saisons

//www.parczoologiquedeparis.fr

 

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