Challenge 50 ans / J – 47
Poniatowski
Paris 1975
Je vous l’accorde, ce n’est pas avec cette photo qu’on va être exposé aux Rencontres de la photographie d’Arles… mais elle a l’avantage de présenter deux éléments importants de ma petite enfance.
Le premier, la toile de jute imprimée de gros tournesols jaunes et roses. Au début des années 70 on ne lésinait ni sur les motifs, ni sur les couleurs et ma mère, toujours à la pointe en matière de mode, avait tapissé elle-même ce tissu sur les murs du salon de notre nouveau logement sur les Maréchaux. C’était un joli appartement haussmannien où les pièces se suivaient le long d’un couloir coudé. La cuisine à droite en entrant, à gauche, un double living lui faisait face, au bout du couloir se tenait la chambre de mes parents et la salle de bain. Un peu avant la chambre, au delà du coude, sur la gauche les chiottes-bibliothèque (il y a toujours eu beaucoup de livres chez mes parents, il fallait bien les caser quelque part), et encore avant, du même côté : ma chambre.
C’était la plus petite des pièces et elle aurait sans doute mieux convenu à un dressing ou comme grand placard mais mon lit à barreaux y tenait sans problème, et je n’étais pas, à l’époque, trop regardant sur l’espace qui m’était alloué. J’ai vécu là cinq ans, au milieu de cette jungle fleurie et ce tissu m’est encore aussi cher que la madeleine peut l’être pour Marcel.
Le second élément important de cette photo est la femme qui se tient derrière moi : Michu. Michelle Marcey, dite Michu, était ma marraine. Elle habitait le même immeuble que nous, au dernier étage, une mansarde sous les toits. Elle a probablement été ma première baby-sitter, et nous passions beaucoup de temps en sa compagnie. Elle nous rejoignait au pays de tournesols ou l’on me déposait chez elle suivant l’heure de la journée. Dès que j’ai été assez grand pour monter seul les deux étages qui me séparaient d’elle, lorsqu’on me le permettait, je grimpais dans l’antre de Michu. Là aussi il y avait des livres, des affiches de spectacles auxquels elle avait participé – Michu était comédienne -, dans sa chambre une immense tenture en patchwork figurait un coq bariolé. C’était chaleureux, bohème, et parfaitement fascinant pour le marmot que j’étais. J’adorais ce cocon tout autant que celle qui y vivait. Elle fumait des gitanes – comme papa – qui lui griffaient la voix, avait connu les vaches maigres, la déportation, le succès aussi avec Mam’zelle Nitouche qu’elle avait joué un nombre incalculable de fois…
Malheureusement lorsque nous avons quitté le boulevard Poniatowsky pour Vincennes, les liens se sont distendus et Michu n’a bientôt plus été pour moi qu’un merveilleux souvenir. Au tout début des années 90 nous sommes cependant allés dîner chez elle. Elle habitait toujours le même immeuble mais trois étages plus bas, un appartement qui ressemblait sensiblement à celui où nous avions vécus… mais il n’y avait aucun tournesol sur les murs du salon.