Virginia Woolf prônait une chambre à soi. Un lieu intime, un cocon, où notre personnalité puisse épouser chaque forme, chaque repli, chaque matière ou couleur, semblable en tous point à celui qui s’épanouit en nous. Cette théorie du bien-en-soi bien-chez-soi s’étend au lieu d’habitation que l’on choisit. Voilà plus de vingt ans que j’habite le même appartement. Dans le même temps Pierre a dû déménager à peu près dix-huit fois. Pourtant lorsque j’arrive chez Pierre je sais tout de suite que je suis chez lui, pas de doute. Il investit le lieu pleinement, sa personnalité se trouve dans chaque recoin. Pierre déménage mais voyage peu. Ses voyages sont humains, ce sont des amitiés, des rencontres, des échanges, des mots, des sentiments, des émotions.
- On se fait la soirée des Césars chez Pierre. Tu veux venir ?
J’ai accepté la proposition de Jean-Jacques, que je connaissais depuis seulement quelques semaines
C’était il y a vingt ans, le samedi 24 février 2001, Pierre entrait dans ma vie.
Accent biterrois à la boutonnière, sans réticence, avec bonhommie et bienveillance, il m’a ouvert les portes de son rez-de-jardin, villa Marcès. Nous nous sommes assez vite adoptés, et faisant partie de l’entourage proche de mon homme il fit bientôt partie du mien.
Pierre a quitté Paris. Cet éloignement nous a rapprochés. Il y a eu les étés à Uzès, à Mykonos, dans les Pyrénées Orientales.
Le retour sur Paris. Son appartement proche du nôtre, dans le 20e arrondissement. Chacun d’un côté de l’hôpital Tenon où Jean-Jacques à eu droit à sa chambre à l’année. Pierre était là, dans cette chambre, le soir où la pneumologue m’a appris que tout était fini. C’est lui qui m’a ramassé lorsque je me suis effondré, que la réalité me rattrapait. Lui savait déjà.
Depuis dix mois Pierre vit à Lille ; une opportunité de boulot qui ne se refuse pas.
Il y a bien longtemps que j’aurai dû visiter Lille. Je n’exprime aucun regret en disant cela. Il ne s’agit aucunement d’un constat fait a posteriori, mais d’une réalité. J’ai eu la chance de visiter de nombreuses villes de France et d’Europe mais je ne m’étais jamais rendu dans la capitale des Flandres alors que j’en ai eu maintes fois l’occasion. Cousine, ami.e.s, employeurs, m’y avaient pourtant convié mais la rencontre n’avait jamais eu lieu… Ma grand-mère m’aurait-elle transmis sa hantise des Flandres où elle avait grandi pour que je traîne ainsi les pieds à me rendre là ? Il est plus probable que mon attirance pour la chaleur m’ait occulté de grands pans du territoire français.
Lille a la réputation d’être une belle ville, accueillante et festive ; c’est tout à fait ce qu’elle est.
Pierre nous mène à travers le méandre des rues du Vieux Lille, qu’il connaît déjà presque comme sa poche. Nous fait découvrir les boutiques de déco, les restaurants où il a déjà ses habitudes, les maisons remarquables. Il semble s’épanouir dans ce nouveau décor de briques, de beffrois, de façades rococo. Il a gardé les cigales dans la voix, son enthousiasme pour les nouveaux projets, sa solide fragilité (ou peut-être est-ce l’inverse). Son amitié aussi est intacte et embellit, sinon cette ville pour le moins attachante, du moins sa découverte.