4 mars 2021
Carnac

Confinés. Déconfinés. Calfautrés. À 22h, à 20h. Re-confinés. Re-déconfinés. Re-calfeutrés. À 18h. Re-re-confinés ? Peut-être. Peut-être pas… Quelle année étrange. Outre les privations que la plupart d’entre-nous n’avaient jamais connues, et les réflexions philosophiques liées à notre mode vie que ces situations inédites provoquent, ceux qui comme moi aiment découvrir le monde qui les entoure, s’enrichir de rencontres, se nourrir de paysages, auront été bien frustrés. J’en ai vu qui, malgré ces temps troublés, ont tout de même voyagé. De mon côté les escapades ont malheureusement été peu nombreuses : dix jours dans mon cher Vivès en juillet, auxquels s’ajoutent deux jours dans le lot en remontant sur Paris, et un week-end de trois jours en Alsace en septembre, basta ! Mais là, un an après l’arrivée dans nos vies de l’ennemi public numéro 1, j’ai nommé Covid19, il fallait bouger ! Sortir de Paris, s’aérer, voir, respirer, sentir… Golf-Juan initialement prévu à vite été abandonné à l’annonce d’un nouveau couvre-feu pour la Côte d’Azur sur toute la durée du week-end. Am-stram-gram pique et pique et la Bretagne ? Ok ! À la recherche d’un hypothétique soleil d’hiver c’est à Carnac que nous posons nos valises. Hors saison, même en période de vacances scolaires, l’endroit devrait être fréquentable…

Je ne sais pour quelle raison, je m’étais imaginé Carnac comme une villégiature chic et un peu snob ; de belles maisons cossues en meulière et pignons de bois colorés, ambiance bains de mer du XIXe, comme on peut en voir à Arcachon, Biarritz ou Dinard.
C’est au milieu des années 90 alors que j’étudiais l’histoire de l’art à l’École du Louvre, où les élèves, majoritairement féminines, étaient souvent issues d’un milieu bourgeois, que j’entendis pour la première fois parlé de Carnac. L’une des camarades de notre bande, Caroline, y passait ses étés depuis l’enfance. La demoiselle, un brin rebelle, semblait en avoir soupé des vacances en familles et pestait régulièrement contre les conventions et l’étroitesse d’esprit de ceux qu’elle fréquentait dans cette petite station balnéaire du Morbihan.

Ce que j’en vois aujourd’hui est finalement beaucoup moins BCBG que ce que j’imaginais.
Le long d’une jolie plage d’un kilomètre, un front de mer où subsistent quelques rares maisons anciennes, entre des immeuble bas et de petits hôtels. Des façades blanches, des volets bleus, des toits d’ardoises noirs, sur le neuf comme sur l’ancien. À l’arrière le même mélange de maisons de pêcheurs réinvesties, d’ensembles plus récents et de bâtisses construites dans les premières années du XXe siècle. Rien d’ostentatoire. Mais rien de bien « folichon » non plus… Le vieux bourg, légèrement en retrait dans les terres n’est pas non plus des plus exaltants. Ce mélange d’architecture disparate réuni par le blanc des façades, le noir des faîtages et le bleu des volets créé une uniformité blafarde où rien ne se révèle. 

C’est à la pointe Churchill, à la toute fin de la plage, que le charme opère le plus. Joël, sympathique septuagénaire local, masqué et échevelé, accompagné d’un épagneul tout aussi jeune que son maître, nous en vante la promenade. Nous aurions pu passer à côté… J’aime ces bâtisses plus ou moins imposantes avec accès direct à la baignade et vue sur l’immensité maritime. L’une d’elles, ici, ressemble à un château écossais, et pour cause puisqu’il s’avère que le Churchill qui donna son nom à cette pointe carnacoise n’est pas Winston l’homme d’Etat britannique mais Félix Sidney, militaire écossais, et que cette demeure était la sienne. Ne manque que le pont-levis pour se jeter à l’eau. 

Mais si l’on vient à Carnac pour le grand air et les bains de mer depuis le XIXe siècle, on y vient depuis beaucoup plus longtemps encore pour ses alignements. Près de 3000 menhirs érigés depuis 6 500 ans entre la baie de Plouarnel et la rivière de la Trinité-sur-mer. Des  milliers de cailloux – come j’aime les appeler – pouvant atteindre jusqu’à 4 mètres de hauteur, dont la signification et l’usage restent, encore à ce jour, indéchiffrés. A travers les siècles l’oeuvre des hommes du Néolithique nous est parvenue mais malheureusement pas son sens. Si les dolmens, également nombreux dans la région – ne sommes-nous pas sur la Côte des Mégalithes ? – et les tumulus, comme celui de Saint-Michel, à quelques dizaines de mètres des alignements, gigantesque sépulture déguisée en colline de mètres de haut au sommet de laquelle on bâtit une chapelle dédiée à l’archange, n’ont plus de secret pour les préhistoriens, ces champs de cailloux sont encore l’objet de tous les fantasmes. 

Celui que je préfère nous vient de la fin du XIXe siècle et se trouve lié à la fertilité – des femmes bien entendu ! Les hommes ne sont jamais remis en cause quant à leur capacité à procréer. Vers 1880 donc, une femme ne pouvant enfanter se devait de courir, nue, autour d’un menhir avant de se faire saillir par son vigoureux mari au pied même du dit menhir, la parenté montant bien évidemment la garde afin qu’aucun œil lubrique ne vienne saisir la scène. 

Si au début du XXe siècle on y menait en procession les jeunes filles célibataires, en âge d’être mariées, afin qu’un galant surgisse par le seul pouvoir des pierres, aujourd’hui ce sont les touristes qui défilent là avec plus ou moins de respect pour les vieilles dames de pierre… Nous mêmes nous amusons à singer Obelix portant son doudou sur le dos, mimer l’homme fort tentant de faire tomber ce qui ne le peut. 

Certaines parcelles sont fermées au public, seuls les moutons y paissent sous le ciel gris. Si l’on interdit à l’homme de s’approcher aujourd’hui des pierres levées, c’est qu’il y est trop souvent venu y traîner des bottes, au point d’affaisser le sol d’où les mégalithes se déchaussent comme les dents d’une bouche malade. 

Devrions nous rester confinés jusqu’à la fin des temps afin de ne plus mettre en péril notre patrimoine ? Cette idée glaçante pourrait faire l’objet d’un prochain épisode de Black Mirror vous ne trouvez pas ?…

Carnet d’adresses

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