Quatrième visite de la journée ! On aura optimisé le temps ! Un village médiéval classé parmi les Plus Beaux Villages de France : Castelnou, un site géologique grandiose : les Orgues d’Ille-sur-Tet, une abbaye reconstruite : Saint-Michel-de-Cuxa ! Et maintenant une ville classée au patrimoine mondial de l’Unesco : Villefranche-de-Conflent ! On peut dire que la région regorge de merveilles. Trois fois que j’y séjourne et j’ai encore beaucoup à découvrir !
J’étais passé à Villefranche-de-Conflent en 2011 pour monter à bord du fameux Train Jaune menant jusqu’à La Tour de Carol. Contrairement à Brigitte Fontaine je n’y avais pas oublié mon gilet mais j’avais pu profiter de splendides panoramas sur les Pyrénées et visité la Citadelle de Montlouis. Mais je n’avais pas eu (ou pris) le temps de découvrir la ville…
Cette fois pas de train, ni jaune, ni rouge, ni de quelque couleur que ce soit ! Il est temps de voir ce que cette cité propose ! Deux rues ! Pas plus, pas moins ! Deux rues où les bâtiments hésitent entre médiévalisme et village de montagne. Il faut dire que la ville, située au fond du défilé de la Têt, est cernée par les montagnes. Horizon bouché. Avec Jean-Claude nous nous faisons la réflexion qu’il nous serait difficile de vivre dans un tel environnement. J’aime, lorsque que je découvre une ville, imaginer quelle pourrait y être ma vie. Quelle maison, villa, bicoque, ou palais j’aimerais investir. Quel troquet pourrait devenir mon quartier général… Eh bien je vous le dit : Villefranche n’est pas pour moi ! Certes il y a une librairie assez étonnante avec des tonnes de bouquins, magazines, journaux entassés dans tous les coins mais ça ne suffit pas… Avoir pour tout horizon des montagnes, tellement rapprochées qu’on a l’impression qu’elles vous écrasent en permanence, ajoutez à cela les fortifications qui ceignent la ville et vous aurez une idée de la probable déprime qui me tomberait sur le coin du nez si je devais m’installer là. Que voulez-vous j’ai été mal habitué, je vis depuis vingt ans, certes à Paris, mais dans un appartement sans vis-à-vis et même mieux que ça, avec vue sur la ville et le ciel, beaucoup de ciel – si vous êtes sages, je vous montrerai un jour. Forcément, dans ces conditions, mon hypothétique logement dans une cité quelle qu’elle soit doit offrir de l’espace à mon regard. Le paysage qui m’entoure doit laisser de la place à la rêverie, à la flânerie des yeux, à la détente de l’esprit. Au fond d’une vallée, les montagnes arrêtent ma vision comme un mur le ferait devant ma fenêtre et je ne peux pas m’échapper…
Villefranche reste cependant bien sympathique et si je ne m’y vois pas vivre mes vieux jours j’aime m’y promener.
Une église romane : Saint-Jacques, que nous ne pourrons hélas visiter (très certainement à cause de l’heure tardive à laquelle nous arrivons dans la ville). J’admire ses deux porches romans aux parfaits arcs en plein cintre taillés dans une pierre rose. J’aurais aimé voir si les mêmes teintes saumonées se retrouvent à l’intérieur. Une autre fois…
Mais ce qui fait la renommée de Villefranche-de-Conflent, outre ses deux rues vivantes, outre son église romane, ce sont ses remparts ! La capitale des comtes de Cerdane depuis le XIe siècle peut s’enorgueillir de fortifications signées… Vauban ! Quelle originalité ! À croire que le sieur Sébastien Le Prestre de Vauban dégainait des villes fortifiées tout aussi rapidement que Lucky Luke le fait de son colt ! Les remparts sont en fait bien plus anciens mais c’est le marquis qui leur a donné l’aspect qu’on leur connaît aujourd’hui, y adjoignant également le Fort Libéria, à 150 mètres en amont de la cité, et relié à celle-ci par une volée de 734 marches souterraines. Mais si les fortifications du Bourguignon sont visibles aux quatre coins de France (et même jusqu’en Guadeloupe ou au Québec !) celles-ci ont une particularité : elles sont sur deux niveaux et sont couvertes ! Nous en faisons le tour, tranquillement, montant et descendant au gré des escaliers, visitant les bastions, les tours et les poudrières. Tantôt larges, tantôt très resserrés, ces corridors semblent labyrinthiques, et offrent par des ouvertures allant de la terrasse à la meurtrière de belles vues, parfois cocasses, sur la ville et la montagne.
Mais bientôt le soir descend. Une bière sur la place de l’église puis un succulent dîner typique à L’Échauguette et il est temps de regagner nos pénates. La journée a été pleine de paysages et d’architecture mais ce qui nous attend sur la petite route qui nous mène à Vivès nous comblera de joie. Imaginez une étroite route sinueuse, légèrement montagneuse, de nuit, bordée de chênes-liège, faiblement éclairée par la lune et les phares de la voiture ; nous roulons doucement afin d’éviter un éventuel ratage de virage ou nous emplafonner un chauffard régional pressé de rejoindre Céret. Quand soudain, au milieu du bitume, deux petites boules de poils, tressautantes : deux renardeaux, bien roux, jouent et galipettent sans se soucier des éventuels automobilistes qui pourraient débouler… Nous arrêtons la voiture pour profiter du spectacle. Comme toujours en présence d’animaux sauvages, je me sens intrus dans leur monde, sur leur planète, mais empli de bonheur, plus encore que devant un tableau de Paolo Uccello, les sonates pour violoncelle de Schubert ou l’Abbaye de Conques. Vauban peut emmener sa perruque au pressing, face aux réalisations des hommes, aussi grandioses soient-elles, les renardeaux ont gagné la partie et me laisseront un souvenir impérissable…