Ce n’est pas sans raison que ces monastères sont nommés les Météores, car on les croirait tombés du ciel, bolides qui dans leur chute seraient demeurés accrochés à ces cimes. Comment a-t-on hissé là-haut les matériaux pour les construire? Ils n’étaient vraiment pas maladroits, nos lointains ancêtres de ce ténébreux et sanglant Moyen Âge byzantin. Et savez-vous bien qu’à côté de ceci, la tour de fer qui déshonore Paris sous prétexte de tour de force n’est qu’un jouet d’enfant ?
Au fait, comment y accède-t-on? Rien de plus simple. Voyez-vous, zigzaguant au flanc du roc quasi perpendiculaire, ces échelles de bois accrochées à des saillies, faisant un escalier aérien dont les paliers sont formés par des anfractuosités en manière de plate-forme sans aucun gardefou? Voilà … et montez si le coeur vous en dit. Ah! non, pas de mauvaise plaisanterie, n’est-ce pas? On nous a entraînées ici en nous promettant que nous passerions dans un de ces couvents la nuit qui vient. Se propose-t-on de nous y introduire par ce procédé? Le frisson de la petite mort nous secoue de la nuque au talon.
Il y a bien un autre moyen: ce panier analogue à la nacelle d’un ballon, qui lentement descend au bout d’une corde se déroulant sur un treuil dont, d’en bas, nous voyons un moinillon en robe noire tourner la manivelle. Alors on pense que nous allons monter là-dedans? Mais pas plus que gabiers nous ne sommes aéronautes.
Non, non, rassurons-nous: ce monastère, qui est celui de la Transfiguration, ou plus élégamment Métamorphosis, ne reçoit pas les femmes. Bénis soient ces bons religieux ! … Combien nous approuvons leur juste effroi de ces sources maudites de péché que nous sommes, et de quoi nous nous glorifions fort.
Point farouches cependant, et hospitaliers à leur façon. Dans la guérite surplombante où se manoeuvre cet ascenseur primitif, un vénérable caloyer à longue barbe blanche a paru, et nous jette au fond de la gorge où nous avons mis pied à terre quelques-unes de ces paroles musicales dont le seul son nous dirait le sens aimable, quand même l’ami grec qui nous accompagne ne nous traduirait le compliment. Et le panier arrivé à destination nous apporte les rafraîchissements de bienvenue : un pot de confitures sèches, un flacon de raki et une cruche d’eau extrêmement fraîche, avec un seul verre et une cuiller unique. À tour de rôle nous nous en servons, nos agoyates les derniers, car la simplicité des moeurs n’exclut pas la hiérarchie, fort heureusement en cette circonstance, et avec nos remerciements lancés à tue-tête vers la voûte céleste, nous renvoyons le matériel, qu’on hisse tout doucement par la même voie. Ce petit five o’clock est de ceux qu’on n’oublie pas.