Après avoir voulu devenir successivement paléontologue (aucune idée de ce en quoi cela pouvait consister mais la vignette qui illustrait cette entrée dans mon Grand Livre des Métiers représentait un homme avec un microscope !) puis chorégraphe, j’avais fini par trouver ma voie et à la question « qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grand ? » je répondais distinctement : « Champollion ! ». Bien sûr « Jean-François Champollion » n’est pas ce qu’on peut réellement appeler un métier mais comme il avait déjà fait le boulot, à savoir : déchiffrer l’écriture des anciens Égyptiens, il ne me restait plus qu’à devenir lui ! Égyptologue aurait pu être une réponse satisfaisante mais elle ne correspondait pas exactement à mon fantasme : l’Égypte des premiers archéologues, avant le tourisme, quelque part entre les campagnes napoléoniennes et Agatha Christie. J’aurai pu m’identifier à Lord Carnarvon mais le choix d’un Français était plus simple et Champollion avait une aura romanesque incomparable, rien ne le prédestinait à son incroyable découverte. Je me passionnais donc pour sa vie, lisais ses écrits, apprenais l’alphabet hiéroglyphe, rêvais de posséder (alors que lui-même n’en avait qu’un artefact) ne serait-ce qu’une reproduction de la pierre de Rosette… À 13 ans ma mère m’emmena en croisière sur le Nil, dix jours à fouler la terre des pharaons, dix jours à n’émerveiller du Caire à Abu Simbel, découvrir in-situ ces incroyables signes gravés sur le moindre pan de mur que seul Champollion avait réussi à apprivoiser : mon premier voyage itinérant, le premier dont j’écrivis – en partie – le récit.
Les années ont passé – bien plus de cinq hivers cinq étés – je ne suis pas devenu égyptologue, aucun sorcier n’a pu me faire entrer à rebours dans la peau de Jeff, son nom est parfois venu cogner à l’huis de mes souvenirs¹, mais cet après-midi, à Figeac, qui l’a vu naître, en entrant au musée de l’écriture qui porte son nom, j’ai senti mon cœur remonter calmement le temps, et face à son buste au seuil de la première salle j’étais à nouveau un petit garçon de douze ans.
¹ Comme par exemple en août 2018 au Festival de Concèze lors d’un hommage à mon père je rencontrais Étienne Champollion pianiste et arrière petit-neveu du père de l’égyptologie