Je ne vous ai pas encore parlé d’Annabelle, ma cousine. Ma vraie cousine, la fille de Jean-Pierre, le frère de papa. Bien qu’elle soit ma cousine, nous ne nous connaissions pas. Nous savions que nous existions ; nous nous étions croisés… Elle m’avait d’ailleurs chipé un cahier de coloriage, un après-midi où elle n’avait pas voulu aller se promener aux alentours du VVF de la Colle-sur-Loup où je séjournais avec Mamie alors qu’elle était de passage avec son père en tournée dans le coin. Ah les souvenirs d’enfance…
Quelques jours après mon bac je retrouve ma mère et mon oncle pour dîner. Annabelle est là aussi. Je ne l’ai pas vue depuis des siècles. On s’installe, on se bisouille. Je suis assis face à elle. Et là ! Il n’y a plus que nous. Le temps se suspend. Nous nous aimantons. Nous nous racontons nos vies, et pourtant nous nous connaissons depuis toujours. C’est étrange, incroyable, instantané, définitif.
À partir de ce jour et durant la décennie qui le suit nous nous sommes énormément vus.
Annabelle est comédienne, « metteuse » en scène, généreuse, donc très entourée. Annabelle a l’intelligence du cœur. Ses amis également. Ils sont, eux aussi, enfants de la balle, pour la plupart. J’aurais pu, auprès de certains, quand l’occasion se présentait, forcer le destin, m’imposer pour obtenir un rôle, faire une voix, passer une audition. Je ne l’ai pas fait. Je rate sans doute quelques occasions mais ça n’a pas beaucoup d’importance… J’assiste à presque toutes les répétitions de son Poil de Carotte en comédie musicale, à toutes les représentations, quand elle n’est pas sur scène nous allons voir jouer les copains, dînons en bande au Kokolion ou Chez Ali et refaisons le monde jusque tard dans la nuit, avant de foncer voir la mer, à Dieppe, sur un coup de tête. La vie est belle.
Annabelle m’apprend que l’argent, la jeunesse quand ils vont de pair servent à profiter, ce qui n’empêche pas de relire Dumas, Saint-Simon, de parler russe à son chat, de croire en ses rêves et de se donner les moyens de les réaliser.
J’ai pris cette photo d’Annabelle le jour de mes 21 ans chez elle, passage Brady.