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22 août 2021
Villa Cavrois

Des années que je rêvais de visiter la Villa Cavrois ! La faute à qui ? À Pierre ! L’ami Pierre chez qui justement nous séjournons pour le week-end. Pierre est passionné de design et d’architecture. L’écouter en parler est toujours un réel bonheur. C’est donc tout naturellement que je lui ai proposé de prendre la plume pour nous conter son amour pour cette villa. Je suis sûr qu’il saura, tout comme à moi, vous donner l’envie de visiter cette merveille de l’architecture moderniste, signée Robert Mallet-Stevens.


Texte Pierre Coumes

Dans ma maison tu viendras, d’ailleurs ce n’est pas ma maison …

La première fois que j’y suis venu, c’était au début de ce siècle, une fin de journée d’automne entre chien et loup. Nous nous sommes garés le long du mur de clôture et j’ai découvert ses briques jaunes. Je les ai aimées immédiatement. Dans ce clair-obscur, nous avons sauté clandestinement la grille et nous nous sommes enfoncés dans le jardin vers ce bâtiment énorme et effrayant. Je la trouvais vraiment imposante, bien au-delà de mon imagination et des photos vues dans les livres. Nous avons longé la maison par la droite et découvert sa façade côté jardin. La lumière était encore suffisante pour apprécier la beauté de ce château de campagne. J’étais effrayé et fasciné. Nous avons gravi le large escalier conduisant à la terrasse. J’ai compris là combien elle était à l’abandon et dans un état de délabrement avancé. Nous nous tenions devant l’immense fenêtre du salon, énorme gueule prête à nous engloutir dans son intérieur noir et mystérieux. Je n’en menais pas large mais je connaissais son histoire et j’imaginais l’exception de ce salon. J’étais triste de ce que je voyais. Alors je me suis laissé avaler par cette maison et depuis elle m’habite.

Et nous voilà vingt ans plus tard, elle n’est plus abandonnée, elle a été restaurée, elle a retrouvé sa forme d’origine, elle a été sauvée. Il fait beau. Je suis heureux. Je déambule de pièce en pièce, je goûte son faste et sa démesure. Je pénètre enfin son intimité. Et je vois cette famille en ce dimanche de fin août. Parce que c’est bien la maison d’une famille.

Dans la chambre bleue de l’aîné, je l’imagine sur le lit lisant. Son cadet dans la chambre jaune voisine, travaille à son bureau à une dissertation. Les deux ont les cheveux encore mouillés du bain qu’ils ont pris tout à l’heure dans la piscine.

Par la fenêtre du couloir, j’aperçois le chauffeur qui astique les chromes de l’automobile. À l’office, la cuisinière s’active au repas de midi. Dans la salle à manger des enfants, la table est déjà mise. La servante est maintenant est en train de dresser le couvert pour les parents, les deux aînés et leur sœur qui sera là avec son mari, une belle table pour six. Elle a ouvert la baie vitrée pour laisser entrer la chaleur de cette fin d’été. Le marbre vert brille sous les rayons.

Monsieur est dans son bureau, il termine de signer les courriers du parapheur que sa secrétaire lui a remis hier soir en quittant l’usine. Par la porte ouverte du fumoir, je devine l’odeur de tabac blond de sa dernière cigarette.

À l’étage, Madame dans son boudoir s’occupe de recoudre le bouton de sa robe. Son peignoir blanc en soie s’électrise sur le fauteuil vert et la ceinture traîne sur la moquette bleue tel un serpent albinos. Dans la chambre à côté, la bonne finit de refaire le lit.

Dans la salle de bains, la buée sur les miroirs témoigne de la douche pendant laquelle elle s’est longuement délassée, laissant les jets masser son corps. Une serviette humide traîne sur la console centrale attendant d’être étendue d’une main servante.

De l’autre aile, j’entends les enfants qui jouent. Je les trouve dans la salle de jeux, enfin les deux plus jeunes car les deux plus grands sont dans la salle d’étude, leur préceptrice les fait peiner sur une dictée : « Dans ma maison, tu viendras … ».

Sur la mezzanine, je m’accoude, le grand salon vert est vide et silencieux. Sur les banquettes près de la cheminée, un pull de couleur orange s’accorde avec le marbre de ce coin. Les coupes à champagne sont déjà prêtes sur la table en prévision de l’apéritif tout à l’heure. L’horloge murale me dit qu’il est 11h30. Seul le bruit des assiettes qui s’entrechoquent à la salle à manger résonne en sourdine. L’odeur du poulet dominical qui cuit parvient jusqu’à mes narines. Elle se mêle au parfum de l’encaustique, les parquets ont été cirés hier.

Face à moi le jardin et le miroir d’eau, un jardinier taille les rosiers, une gerbe de roses blanches à ses pieds attend de rejoindre le vase, déjà installé au centre de la table. Madame aime le blanc.

Chacun est occupé, je suis anonyme dans cette quiétude familiale. Je voudrais que le temps s’arrête, je voudrais me figer à tout jamais dans cet instant, dans cette maison.

En redescendant, je remarque que la petite porte sur le palier est entrouverte, je me glisse dans l’escalier, je monte à pas feutrés le colimaçon, dans le petit bureau je découvre Robert à sa table, il s’est endormi et semble heureux. Sur une feuille blanche devant lui, il a griffonné à mon intention : « Dans ma maison qui n’est pas maison, tu viendras. »


Villa Cavrois

60 Av. du Président John Fitzgerald Kennedy, 59170 Croix
// www.villa-cavrois.fr

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