Ce premier vendredi de mars il ne pleut pas et pourtant le temps pourrait facilement être qualifié de pourri ! Le ciel plombé ne laisse filtrer aucun rayon de soleil pour réchauffer l’atmosphère ne serait-ce que d’une belle lumière sur la mer, s’ajoute à cela un vent glacé qui gifle et griffe celui qui ose s’aventurer dehors. Le ciel est gris, la mer est verte, ne laisse surtout pas la fenêtre ouverte…
Nous partons pour Quiberon, célèbre presqu’île où Louison Bobet installa sa fameuse thalassothérapie dans les années 60, à quelques encablures de Carnac.
À la sortie de l’isthme le fort de penthievre. On ne va pas y aller par quatre chemins : les premières impressions ne sont pas bonnes, c’est moche ! Pas la presqu’île en elle-même, loin de là… mais l’habitat ! Eh les gars vous avez déconné ! Quand on s’enfonce dans les petits villages comme celui Kohrstin à l’entrée de l’île, les ruelles bordées de maisons de pêcheurs mènent à la mer, laissant apparaître l’authentique Quiberon, mais nous ne le découvrirons qu’à la toute fin de notre balade. En attendant nous filons sur la départementale jusqu’à Quiberon City où la route vers la côte sauvage prend sa source. La luminosité éteinte ne fait rien pour arranger les choses ou alléger notre « désenthousiasme ». Tout est tarte. La ville de Quiberon, quant à elle, réunie probablement ce qui s’est fait de pire en terme d’architecture balnéaire. A son extrémité ouest, cependant, sur une pointe rocheuse, l’improbable silhouette du Château Turpault. Érigé il y a seulement 111 ans pour le compte de Georges Turpault, filateur choletais, le « château de la mer » comme on le surnomme ici, est digne d’un décor d’opérette. En entamant notre balade sur la côte sauvage, on le distingue encore, de loin, se détacher du ciel menaçant, posé sur des rochers sombres et acérés, vision bretonne de la tintinophile Île Noire.
A partir de là tout devient roches : granit et quartz, du beige au noir le plus profond, polies par le flux et le reflux des marées, le souffle des tempêtes, lacérées, tranchées, modelées par les éléments pour donner par endroit naissance aux étranges silhouettes d’un bestiaire fantastique. Sortis de l’eau, la pierre devient lande. Une végétation rase la couvre: œillets, bruyères, ajoncs. Plus loin des pins parasols, pliés, tordus par les vents protègent les habitations. Si la côte, tant elle est déchiquetée, m’évoque celle de la highway 1, au sud de San Francisco que j’ai eu la chance de parcourir avec mes parents il y a quelques années, la route quant à elle n’offre quasiment aucun dénivelé. Elle s’élève peu à peu, sans à coup, suivant le littoral. À Beg-en-Aud, au bout de la côte sauvage les rochers sont devenus falaises. « C’est la plus belle partie de la Côte Sauvage, celle dont les falaises, profondément entaillées, crevassées et émiettées par la mer, percées de nombreuses grottes, d’arcades et du tunnels, offrent les aspects les plus pittoresques et les plus variés » peut-on lire dans le Guide Bleu Bretagne de 1956. Et c’est toujours vrai 60 ans plus tard ; c’est vrai qu’elle est belle cette côte chahutée par une nature violente et capricieuse. Le guide met également en garde contre les forts courants marins, déconseillant toute baignade. Vu la température de l’air, inutile de nous conseiller quoi que ce soit, il était hors de question de goûter celle de l’eau… Les surfeurs que nous croisons en nombre sur la plage de Port Bara semblent ne craindre ni l’une ni l’autre. Ces sportifs aux corps fermes, généralement jeunes, n’hésitent pas, au cul de leur voiture, en pleines rafales, à se déshabiller intégralement avant d’enfiler leur combinaisons noires et moulantes censées les protéger de toute froidure… Bien qu’ils arborent un corps dont je ne pourrais jamais me glorifier, je ne les envie aucunement ! Le froid de cette journée est probablement ce que j’ai eu à supporter de pire en matière de température. Donnez moi une plage où il fait 35° et je vous jure que je n’attendrai pas qu’une saute de vent soudaine jette mes habits dans les nues (n’est-ce pas Georges ?) ! A poil ! Et à moi le surf et le corps d’athlète ! Non mais ! Frimeurs…
Une dernière balade au tumulus de Beg-en-Aud, puis à la pointe du Percho, toujours en plein vent, où la ruine d’un observatoire du début du XXè siècle nous offre à travers ses fenêtres fantômes la vue sur la côte que nous venions de parcourir.
Le couvre-feu n’est qu’à 18h (quelle étrange phrase à écrire…) et le soleil semble vouloir percer quelque peu les nuages. Jean-Claude aimerait voir l’ilot de Nichtarguer où niche une antique maison de gardien de parc ostréicole, emblématique du village sur l’eau qui lui fait face : Saint Cado. Mes parents y avaient quelques années auparavant dégustés des huitres et en gardaient un souvenir éblouis qu’ils n’hésitaient pas à partager. En effet, l’endroit est terriblement charmant.
Les gros nuages sombres inondés de lumière donnent au cadre une couleur mystique qui rappelle aux visiteurs que si l’on peut aujourd’hui se rendre à la Ria d’Etel de pied sec, c’est que Saint-Cado lui-même pria le diable afin qu’il l’aide à la réalisation d’un pont de pierre. Cette construction avait un prix : l’âme de la première personne qui l’emprunterait ! Le religieux, loin d’être sot, attira dans ses filets un chat qu’il envoya traverser le pont au premières lueurs du jour. En cette fin de journée, au dessus de nos têtes, les diables et les dieux semblent encore s’affronter.