12 juillet 2020
La Chaise-Dieu / Polignac

« Arrête de bouger !
Mamie essaye de te mettre les doigts là où il faut ! »


Si je ne m’étais pas retourné pour voir quelle situation avait bien pu provoquer cette phrase, mon esprit malin aurait pu imaginer le pire des scénarios… Tout de même ! À quelques pas de l’abbaye, à La Chaise-Dieu ! Il y a brocante à La Chaise-Dieu ce dimanche 12 juillet. Nous avons quitté Paris de bonne heure en direction du sud. Lassés de l’autoroute, nous suivons sur la carte les tracés bordés de vert depuis Clermont-Ferrand. La France est belle ; elle l’est toujours sous le soleil, en été. Mais cette année, après deux mois de confinement, elle semble renaître, libérée… à moins que ce ne soit nous qui, désentravés, regardons la nature comme pour la première fois. À Vernet-la-Varenne, autour d’un petit lac, les premiers estivants s’ébattent : on plonge, on bronze, on court, on joue à lancer – avec peine – un diabolo… Sur le parking de la guinguette où nous déjeunons en surplomb de l’étendue d’eau, un couple de jeunes hippies regardent, à l’arrière de leur combi, pousser un tournesol en pot… La vie en quelque sorte. 

La Chaise-Dieu, étoilée et soulignée sur notre carte routière, nous fait de l’œil. Il est encore tôt et notre destination pour la soirée, Le Puy-en-Velay, n’est plus très loin, l’abbatiale Saint-Robert sera une belle entrée en matière. 

C’est là, au milieu des éventaires couverts, comme dans tous les vide-greniers de France, de carafes Pernod, de romans de Guy des Cars  et de 45 tours de Gérard Lenorman que la phrase s’infiltre dans mon oreille : « Arrête de bouger ! Mamie essaye de te mettre les doigts là où il faut ! ». Alors que je me retourne pensant découvrir une scène pornographique pour adultes vénérant les rapports entre cougar vintage et Lolita ayant appris par cœur le Manuel de Civilité pour les Petites Filles à l’Usage des Maisons d’Éducation, que vois-je ? Une grand-mère rousse et pimpante, vaguement Agnès Jaoui, essayant d’enfiler aux mains d’une petite sauvageonne en salopette les gants de Rita Hayworth… Ah que la vie est belle ! Rendons visite au Pape ! 

Clément VI, pape en Avignon au XVe siècle, commanda la construction de cette église pour abriter son tombeau. Une façade lourde et un gothique austère sont compensés par un splendide jubé en pierre (servant à séparer la plèbe des religieux lors des offices) comme j’en ai peu vu, une incroyable danse macabre peinte à fresque sur le mur du déambulatoire et des orgues incroyables ! Devant le jubé, dans le narthex, un buste de Saint-Robert de Turlande, fondateur de l’abbaye Casa Dei (maison de Dieu) – devenue par déformation et francisation Chaise-Dieu – fardé, lèvres pulpeuses et air mal-aimable semble nous chasser de là. Bye bye Robert ! 

Puis c’est au tour de la forteresse de Polignac de nous attirer dans ses filets ! Elle surgit au détour d’un virage sur son rocher noir, immanquable. Des ruines et une tour, intacte, sorties des entrailles de la terre. 

La cuvette du Puy-en-Velay était il y a quelques années (trois millions environ) un immense lac où venaient s’abreuver les mammouths et les rhinocéros, immergeant une chaîne de volcans. Au XIe siècle, lorsque les Polignac décident de s’installer là il n’y a plus de mammouth depuis longtemps, le lac s’est asséché et les volcans éteints on laissé place à des pitons rocheux offrant une pierre sombre facile à travailler. De croisades en luttes contre les rois de France, les vicomtes de Polignac finiront par quitter au XVIIe siècle leur forteresse pour Versailles… En attendant ils règnent en maîtres sur la région pendant plus de six siècles. Voici ce que Georges Sand en disait dans Le Marquis de Villemer : « Leur citadelle était inexpugnable. Le rocher est taillé à pic de tous les côtés. Le village est groupé au-dessous, porté par la colline qui soutient le bloc de lave. Les ravins infranchissables rendent ici les distances sérieuses ». De la demeure seigneuriale il ne reste aujourd’hui quasiment rien, de la chapelle itou, du vicomté oualou ! Seuls le donjon et la tour de la Géhenne tiennent encore debout. Du premier la vue sur les paysages du Velay est somptueuse. Mais avant de pouvoir en profiter il faut gravir les dizaines de marches d’un étroit escalier dans lequel on se croise difficilement (pour ne pas dire pas du tout)… En ces temps « covidés » un panonceau a été ajouté en bas de la tour préconisant un espace d’un mètre entre chaque visiteur… est-il nécessaire que je vous fasse un crobard ? La tour de la Géhenne quant à elle ne se visite pas… Peut-être par respect pour la jeune vicomtesse Bélissende de Polignac, qui, au début du XIIe siècle, y fut enfermée sa vie durant pour avoir cédé aux sollicitations du troubadour Guilhem de Saint-Didier. Le poète, lui, termina pendu haut et court ! Qu’on se le dise : on ne séduit pas impunément la femme d’un Polignac !

Une autre légende court encore entre les pierres de la forteresse : celle d’Apollon… Bien avant la demeure des Polignac se serait tenu là un temple dédié au frère d’Athéna. Les villageois et les pèlerins venaient nombreux pour écouter au milieu des fumées incantatoires, les prophéties du dieu grec dont le visage en pierre, monumental, trônait sur le puits de l’oracle. Les réponses aux questions des badauds venaient en fait des prêtres eux-mêmes dissimulés au fond dudit puits… Ah vilains ! Profiter ainsi de la crédulité des pauvres gens ! Mais même si ces pratiques étaient monnaie courante chez les serviteurs des dieux (quels qu’ils soient), ici tout ceci n’aurait finalement jamais existé : le masque en pierre serait en fait celui de Jupiter ou Neptune rapporté là en trophée, peut-être pour orner le dessus de la cheminée… Allez savoir !

Cette première journée de vacances, ensoleillée, sur les routes de France aura, elle, bel et bien existé, tout comme la nonchalance propre à ce genre de voyage, propice à la découverte de nouveaux paysages et aux rencontres, celles de saint Robert, de Clément VI, des Polignac, mais aussi d’une grand-mère qui aurait bien voulu que sa petite-fille ressemble à l’Ange Bleu !

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