17 novembre 2018
Au long de la Vtlava

Ce séjour aura décidément été placé sous le signe du soleil ! Les températures baissent un peu plus chaque jour mais le soleil, lui reste au beau fixe. Je tiens à montrer à Jean-Claude un autre édifice  qui m’avait enchanté lors de ma première visite : la Gare Centrale. Longtemps laissée dans son état de décrépitude naturel, cette bâtisse imaginée et réalisée par les plus grands noms de l’art sécessionniste praguois, est aujourd’hui peu à peu restaurée. Ses façades, noires il y dix ans ont retrouvé leur clarté ; l’antique hall a été repeint, les vitraux dépoussiérés… Cette merveille fait moins peine à voir mais il reste encore du boulot pour lui rendre sa splendeur d’autant. 

Nous poursuivons notre découverte d’un Prague moins médiéval en nous rendant au bord de la Vltava. Ce fleuve qui traverse la ville  rejoint ensuite l’Allemagne où il deviendra la Moldau. Pour l’heure il glisse tranquillement le long du quai Rašín et nous, nous tentons de quitter la gare, encadrée qu’elle est par les rails d’un côté et une voie rapide de l’autre…  Le métro sera notre porte de sortie, utilisons pour une fois notre carte de transport valable trois jours qui ne nous aura pratiquement pas servi. Quelques stations plus loin c’est un tramway que nous souhaitons récupérer pour nous mener au bord de l’eau. Jean-Claude, plus aventurier que moi, souhaite que nous montions dans le premier qui passe, tandis que de mon côté j’étudie de près le plan des lignes pour tenter de voir lequel sera le plus à même de nous conduire là où nous le souhaitons. Deux façons d’appréhender le monde se font face ! Qui remportera cet incroyable duel ? La tension monte… et s’évanouit lorsque le premier tram se pointe et qu’il porte le numéro que j’avais sélectionné ! Une journée réussie tient finalement à peu de chose !…

Bientôt se dresse devant nous l’ondulante Maison Dansante (Tančící dům). L’évocation des silhouettes virevoltantes de Fred Astaire et Ginger Rogers dans les deux gros cylindres ondoyants qui composent la partie la plus remarquable du bâtiment n’est pas des plus évidente et le résultat est plus amusant que fascinant. Si le projet co-signé par Vlado Milunić et Frank Gehry (La Cinémathèque Française, La Fondation Vuitton et le Musée Guggenheim de Bilbao pour ne citer qu’eux) a fait couler beaucoup d’encre lors de sa réalisation entre 1994 et 1996, il est aujourd’hui très prisé des touristes et nous sommes nombreux à nous presser à l’entrée de la porte à tambour. À l’intérieur les espaces sont tout petits, tout est très étroit. Nous montons jusqu’au toit terrasse sans qu’il ne soit fait mention d’aucun écot à payer pour nous y rendre, mais… à la sortie de l’ascenseur nous apprenons que l’accès est réservé aux consommateurs du bar qui siège au dernier étage de la tour. Ah les filous ! Ils doivent bien bien se remplir les fouilles avec leur système : une fois devant la porte vitrée je suis prêt à parier que la plupart des nigauds ne tournent pas les talons et payent, comme nous l’avons fait, un café chaud ou une bière pour avoir la joie de profiter de la splendide vue sur le fleuve (c’est toujours ça car la terrasse en elle-même n’a aucun intérêt). 

À cet étrange monument je préfère les façades Art déco que nous longeons en remontant le quai, les couleurs vives qui les couvrent, les ramifications florales qui les parcourent, les masques coiffés de lierre aux tympans des portes, les nymphes nues et enguirlandées encadrant les fenêtres, les arabesques des fers forgés des grilles et des balcons, les aigles, les anges et les lions de pierre sortis d’un bestiaire mirifique au fronton des immeubles. Tout cela m’enchante, tout comme la lumière rasante de ce beau soleil d’automne. 

Éloignons-nous un peu ! Une île sur le fleuve nous offrira un autre panorama. Peu de touristes s’aventurent là ; quelques Tchèques avec enfants s’essayent à un passe-temps de choix : nourrir les cygnes et les canards avec… des bretzels ! 

Sur l’autre rive nous hésitons sur la suite de la promenade. Une pause déjeuner s’impose pour en décider. 

Ce jour, 17 novembre, est fête nationale en République Tchèque. Nous ne savions pas ce que cela allait concrètement changer dans notre vie de touriste. Nous pensions seulement que les commerces seraient pour certains fermés. Nous n’imaginions pas en tous les cas croiser des cortèges de personnages étranges, tête de canard ou œil cyclopéen en papier mâché, joueur de fifre et de tambour, échassiers et autres Mélusines vêtues d’agglomérats de déchets de plastique… La veille au soir, déjà, devant la Maison Municipale, un défilé d’enfants jouant du flûtiau, masqués et vêtus comme de petits marquis à la cour de Louis XIV. Sans doute une école qui fête à sa façon la révolution de Velours, nous étions-nous alors dit. Mais aujourd’hui dans le parc Kampa ils sont des centaines, jeunes et moins jeunes, déguisés ; des dizaines de farandoles s’achèvent ici, après avoir, on l’imagine, parcouru la ville. D’autres y sont probablement encore. Mais késako ? Ces groupes ne semblent pas seulement être là par goût de la fête. Quelques écriteaux, en tchèque, paraissent énoncer des slogans mais peut-être ne s’agit-il que de messages de joie. Partons aux infos ! Voici alors ce nous apprenons : si ce jour célèbre la libération du pays des mains des communistes en novembre 1989, il fait aussi référence à d’autres événements survenus, eux, cinquante ans plus tôt. Le 17 novembre 1939, la police allemande avait envahi les dortoirs d’étudiants, arrêté près de mille personnes, abattu certains, déporté les autres. Au printemps 1969 c’est un autre étudiant qui s’inscrit dans l’histoire tchèque, Yann Pallack, s’immolant sur la Place Vanceslas pour marquer son opposition au régime communiste en place et à la censure que ce dernier instaure. C’est en souvenir de tous ces jeunes intellectuels en lutte contre les différents régimes qu’aujourd’hui le jour de la fête nationale est aussi une journée de revendication. On célèbre ; mais on ne manque pas de faire entendre sa voix face aux politiques locales, nationales, européennes ou internationales. 

Nous poursuivons notre route, les laissant à leur agapes. Devant le musée d’art contemporain, sur le fleuve, une ribambelle de pingouins en plastique jaune tournent le dos au soleil. Côté parc ce sont de gigantesque bébés, comparables aux personnages de Keith Haring, sans visage, qui servent de terrain de jeux pour les enfants. Sur le pont Charles, une foule très dense, essentiellement des Praguois qui défilent, déguisés ou non, agitant des panonceaux. Il semblerait que le maire soit parmi eux ; comment le reconnaître ? Plus loin devant le musée Kafka une fontaine composée de deux personnages qui pissent face à face. Nous nous éloignons encore à la recherche d’un point de vue. Nous sommes bientôt récompensés ! En bonus : des cygnes ! Des dizaines de cygnes, peut-être même des centaines. Comme à Stratford-Upon-Avon, il y a deux ans, habitués et badauds viennent nourrir les anatidés. Nous restons là un long moment, à regarder s’ébattre les volatiles, glisser de petits bateaux de bois et s’allumer les monuments de la vieille ville dans le soir qui descend. Le lendemain nous reprendrons l’avion pour Paris et ces instants seront parmi les plus beaux de notre week-end. 

En rentrant à l’hôtel par les rues du vieux Prague, force est de constater que la ville est en liesse. Des podiums ont été dressés ici et là, des chaises dépliées, des écrans installés ; la bière et la musique sont descendues dans les rues. Place Vanceslas, devant la statue du saint patron, une scène était en cours d’installation lorsque nous avions quitté l’hôtel le matin. Un groupe de rock s’y produit maintenant et les beuglantes de la chanteuse se répercutent jusqu’au bas de la place. Les Praguois se déplacent par grappes, un sourire et des chansons aux lèvres, et le froid saisissant de ce début de soirée n’entame en rien leur bonne humeur… ni la nôtre ! Une dernière soirée bien au chaud dans un restaurant un peu moins « typique », ou disons un peu plus « branché » que les précédents, et notre beau week-end s’achève… Bye bye Prague ! 

Quelques jours plus tard alors que je racontais mon voyage à ma mère :

  • Ça a l’air très beau ! J’aimerais bien y aller… On peut se débrouiller là-bas quand on ne parle que français ?
  • Euh non m’man…

  • Ah ! Je ne peux pas y aller seule alors…

Retournerai-je une troisième fois à Prague ?

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