3 août 2018
Palais des Papes, Avignon

1992, j’ai vingt ans. J’ai obtenu un an auparavant mon bac A3 théâtre – un bac littéraire avec option Art Dramatique qui n’existe plus depuis longtemps. Depuis trois ans je vis théâtre, je pense théâtre, je lis toutes les pièces qui me tombent sous la main, des plus classiques aux plus contemporaines, de Sophocle à Corneille, de Jean Genêt à Tennessee Williams, de Koltès à Jean-Claude Grumberg… Je vais au théâtre le plus souvent possible. Ma cousine fait du doublage de film, elle est comme on dit « comédienne de synchro », grâce à elle je rencontre d’autres comédiens, de synchro, de théâtre, des metteurs en scène. Je sors. Je suis invité aux « couturières », aux soirées « corpo » (représentations ayant généralement lieu les jours de relâche, réservées aux théâtreux, aux gens « du métier » en vue des votes pour les Molières). Je rêve de devenir comédien, de monter sur les planches. Je rêve surtout d’une vie romanesque. Cet été-là, Katia, une rousse flamboyante, assistante metteuse en scène, que j’ai rencontrée grâce à ma cousine et avec qui je m’entends comme larrons en foire me propose de la suivre à Avignon pour le Festival. Non pas pour jouer mais pour assister, pour découvrir des textes, des comédiens, des mises en scène, pour nouer des relations. J’ai un peu d’argent de côté grâce aux figurations que je fais depuis quelques mois dans des sitcoms et des émissions de télé. Je pars pour la première fois en vacances sans mes parents, au volant de ma super5. C’est l’aventure. Dans un premier temps, nous partageons avec Katia une petite chambre en plein centre d’Avignon, à l’hôtel Palais des Papes ; les dix derniers jours j’aurai ma propre chambrette sous les toits. Elle abritera ma première histoire d’amour, avec l’un des comédiens d’une troupe qui présente Jour de Fête de Philippe Minyana, dans le Off, spectacle qui nous enthousiasme au plus haut point et que nous allons voir presque tous les jours. Je découvre le Pac-à-l’eau, boisson locale très rafraîchissante à base de sirop de citron et d’eau glacée servie dans un grand verre où se noie un container de glaçons que nous buvons place de l’Horloge en regardant la parade. J’aime déjà les vieilles pierres et le Palais des Papes est à deux pas. Mais je ne m’y rendrai pas cet été là, je l’ai déjà visité deux ans auparavant. Ai-je appris des choses à l’époque ? Sans doute. Mais elles se sont perdues depuis… Il y a pourtant quelque chose que je n’ai pas oublié ! La Cour d’Honneur pendant le Festival d’Avignon se transforme en théâtre. En 1989 on y joue La Célestine de Fernando de Rojas mise en scène par Antoine Vittez. Alors que la visite guidée nous la fait traverser, sur la scène, à quelques mètres de moi froufroute une robe noire : Jeanne Moreau !

2018, Depuis que je connais Jean-Claude, chaque été, nous nous rendons chez Laurent et Stéphane, aux Angles, en face d’Avignon. Cet été, ils partent quelques jours en Méditerranée et nous confient la maison. Elle n’est pas bien grande mais très agréable et dotée d’une piscine. Nous en profitons pour inviter Marc et Jérôme à nous rejoindre. Leur venue coïncide avec une vague de chaleur, un « épisode caniculaire », comme nous en vivons régulièrement depuis quelques années… La piscine aide à tenir sous les fortes températures mais les nuits sont difficilement supportables. Je dors sur un transat au bord de l’eau. Nous cherchons le frais. Un matin, avant que le thermomètre ne grimpe trop, nous décidons de nous rendre au Palais des Papes. Les épais murs de pierre de la forteresse gothique doivent, comme les églises, garder la fraîcheur et devraient nous permettre de passer une matinée culturelle et rafraîchissante… Erreur ! Que nenni ! C’est une fournaise ! L’ancienne résidence pontificale et siège de la chrétienté en Occident au XIVe siècle s’est transformée en marmite de l’enfer ! Nous ne sommes pas les seuls à avoir eu cette idée : une foule compacte de touristes de toutes nationalités se presse pour s’abreuver, comme nous, d’histoire, et s’abriter de la chaleur. Nous déambulons au milieu des familles et des marmots, accrochés à nos audio-guides moites, essayant de comprendre le récit des différents conclaves, du schisme d’Occident, la vie de Benoît XII et celle d’Urbain V… C’est bientôt intenable ! Jérôme est le premier à jeter l’éponge. Nous sortons harassés, suant, haletant, la tête bourdonnante ! Une fois de plus je n’aurai rien retenu et ne rêve que d’une chose : m’attabler place de l’Horloge devant un grand verre de Pac-à-l’eau !

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