Et aussi s’il vous plaît mesdames et messieurs il y a les bananiers.
Mais pourquoi diable Abdul, notre guide pour la journée, commence-t-il toutes ses phrases de cette façon ? Que cela nous plaise ou non notre bus longe effectivement une bananeraie.
Quelques jours plus tôt, à peine avions nous passé les portes de l’Atlantic Hôtel à Agadir, qu’un jeune homme souriant nous faisait l’article pour toute une série d’excursions allant de la promenade à dos de chameau à l’escapade de deux jours à Marrakech. Bien sûr nous étions fatigués et notre séjour devait être le plus reposant possible mais l’appel de la découverte d’une région que nous ne connaissions pas a tout de suite résonné en nous et nous avons rapidement choisi deux journées de visite : l’une à Taroudant, l’autre à Essaouira. Le jour J était arrivé. Levés à l’aube nous avons attendu, en compagnie d’un autre couple de l’hôtel, Annie et Pierre, futurs compagnons de route, le mini-van qui doit nous conduire à Essaouira. Il est déjà bien chargé en arrivant à nous, les quatre dernières places – au fond – sont pour nous. Il roule à présent en direction du nord. À la sortie de la ville, les nouveaux complexes résidentiels pour ex-touristes et futurs retraités, remplacent peu à peu les anciennes usines délocalisées au sud. Abdul explique l’histoire de la ville, son programme d’extension actuel, les autorisations accordées à tel ou tel ministre-ambassadeur-consul pour la construction d’une villa gigantesque en bord de mer. Au micro, dont le son sature, Abdul énonce tout en trois langues : français, allemand, anglais (cette dernière sera vite abandonnée constatant qu’elle ne concerne qu’un seul membre du groupe, un vieil indien probablement fortuné et un peu simplet). Ses explications difficiles à suivre finissent peu à peu par se perdre avant d’atteindre mon oreille. Je leur préfère bientôt nos échanges avec Annie et Pierre. À la première halte, la plage de Tamri nous rappelle que le Maroc est aussi un pays sauvage, aux décors grandioses. Filtré par la brume matinale, le soleil donne au sable et aux roches des teintes mordorées. Sur la gauche de gros rochers roulent dans la mer, sur la droite rien n’arrête le regard avant des kilomètres. Le genre de paysage qui donne l’impression d’être au bout du monde. S’il ne faisait pas aussi frais je serais volontiers resté quelques minutes de plus à regarder l’océan.
Et aussi s’il vous plaît mesdames et messieurs il y a les bananiers.
Abdul, enveloppé dans sa djellaba de laine écrue rayée marron tente de nous convaincre de l’excellence des bananes marocaines, de leur chair ferme, de leur goût inimitable, bien meilleur selon lui que tout autre au monde… Et pourquoi pas après tout ? Je ne demande qu’à vérifier.
Le van s’attaque maintenant aux contreforts du Haut Atlas. Les paysages deviennent vite vallonnés, agricoles, verts, fleuris, loin des collines désertiques et caillouteuses que l’on imagine généralement pour les pays du Maghreb… Des villages pastel accrochés à quelques crêtes, des femmes emmaillotées de tissus bariolés conduisent des ânes bâtés, des chèvres crapahutent sur les arganiers…
Et aussi s’il vous plaît mesdames et messieurs il y a les chèvres dans les arganiers…
Un arrêt pour voir ces caprins grimpeurs « s’improvise ». Notre berger ne manque pas de nous rappeler qu’il serait de bon ton de donner quelque argent à celui des chevrettes puisque nous le dérangeons dans son dur labeur. Tout se monnaye ici.
Plus tard, un autre arrêt, celui-ci prévu au programme : visite d’une coopérative d’huile d’argan. Ces associations – nous dit-on – font office de centre d’aide sociale et permettent aux femmes de la région en difficulté (femmes battues, mères célibataires…) de trouver un travail. Ce discours bien rodé semble fait pour attendrir le touriste et le délester plus facilement de ses devises une fois dans la boutique. Ce qui est sûr c’est qu’elles font travailler deux mille femmes à travers le sud du pays, veillent à améliorer les conditions de travail de celles-ci en milieu rural tout en maintenant une tradition millénaire. Nous voyons donc ces femmes à l’œuvre, assises en tailleur sur des tapis chamarrés, broyant les amandes d’arganiers à l’aide de meule en pierre, puis malaxant à la main la pâte obtenue pour en extraire l’huile. C’est finalement assez intéressant, et nous repartons nous aussi avec notre petite fiole.
Nous arrivons enfin à Essaouira (je finissais par croire que ça n’arriverait jamais) et suivons, au petit trot, tant bien que mal, Abdul dans les ruelles bleues inondées d’ombres et de touristes. Ses explications sont plutôt rares et je préfère profiter de ces quelques arrêts pour faire des photos plutôt que de l’écouter. Jean-Claude, quant à lui, s’inquiétant du pas de course que notre guide nous impose le questionne sur ce qu’il est prévu de faire au cas où nous nous égarerions. Abdul lui oppose alors un « vous ne vous perdrez pas, je connais mon métier ! » qui n’appelle aucune réponse. Inch Allah !…
Fidèle à sa réputation l’ancienne Mogador est fraîche et balayée par les vents. C’est une jolie ville fortifiée qui mériterait une vraie flânerie. À chaque fois que nous croisons des musiciens « notre indien-anglophone » se met à danser et tout le groupe d’attendre que celui-ci ait fini sa petite chorégraphie, un sourire béat aux lèvres. Cette saynète ridicule et attendrissante amuse tout le monde la première fois mais beaucoup moins au bout de la quatrième.
Nous déjeunons assez chichement dans un restaurant dont la terrasse donne sur une jolie place mais est impraticable à cause du vent froid, nous mangeons donc à l’intérieur. Annie et Pierre se joignent à nous pour ce repas. Chacun racontant un peu sa vie, les épreuves qu’il a traversées. Un très bon moment nourri d’anecdotes de voyages et d’amitié naissante.
Cette visite n’a décidément pas grand intérêt… Heureusement la ville est belle. J’aurais préféré la découvrir sans avoir à suivre aucun Abdul, le nôtre semble vouloir nous emmener uniquement dans les échoppes où il a ses entrées.
Au pied des remparts, qui donnent à Essaouira son surnom de « Saint-Malo du Maroc » :
Et aussi s’il vous plaît mesdames et messieurs il y a la maison de Jean-Jacques Goldman…
Cela n’évoque bien sûr rien pour les Allemands de notre groupe mais déchaîne chez deux de nos compatriotes féminines une crise d’hystérie fanatique comme sont capables d’en avoir les jeunes filles pré-pubères à l’énoncé du patronyme de leur vedette favorite, excepté que les femmes en question ont fait leur puberté il y a sans doute une bonne trentaine d’années. Elles veulent tout savoir de la maison en question : le nombre de chambres, la taille de la terrasse, et pourquoi pas l’emplacement des toilettes… Abdul bredouille comme il le peut quelques réponses évasives : c’est ridicule à souhait.
Nous achevons notre tour de la ville seuls ; ce cher Abdul ayant une fois de plus voulu nous conduire dans une obscure boutique de bijoux, notre groupe s’est alors gentiment rebellé et obtenu pour ceux qui ne souhaitaient pas le suivre une demi-heure de liberté. Nous sortons de la ville ceinte pour admirer sa silhouette depuis la plage. Sur le sable, les vacanciers allongés sont tous habillés voire pour certains emmitouflés dans des plaids à cause du vent ; seul un homme bronze, sur le dos, en maillot de bain. Celui-là c’est certain ne craint pas le froid !
Face à notre point de rendez-vous, une librairie ! Je m’y engouffre immédiatement et achète pour Jean-Claude Le Pain Nu de Mohamed Choukri dont je lui ai parlé ces jours derniers.
Sur le chemin du retour, sentiments mêlés : je suis ravi d’avoir enfin vu Essaouira, ravi également d’avoir fait la connaissance d’Annie et de Pierre, compagnons d’excursion formidables, mais un peu déçu d’avoir eu à courir la ville comme un chien affamé et d’avoir été plus qu’il n’en faut considéré comme un porte-monnaie sur pattes.
Dans l’un des derniers bourgs que nous traversons notre véhicule fait un ultime arrêt. Abdul saute du van comme si une mouche l’avait piqué et revient quelques minutes plus tard chargé d’un balluchon de bananes qu’il distribue à tous ! Ce bougre n’était finalement pas si mauvais…